Depuis le 10 juillet 2020, le compte Instagram @disbonjoursalepute recense, outre les héroïnes (badass) et les coupables de la semaine ou du mois, les faits divers, ces petits riens qu’on ne remarque plus mais se qualifient pourtant de harcèlement. De harcèlement de rue. De sexisme invisible mais d’angoisse réelle. Car si la parole se libère pour les victimes, les hommes ne ravalent pas leur salive pour autant et continuent de s’autoriser à ouvrir leur bouche. Éducation, quand tu nous manques…
“Mais enfin, tu es bien dramatique ! C’est rien ! Tu es sûre que ce n’était pas un compliment ? De quoi tu te plains ? Tu seras bien triste quand on ne te dira plus rien !” Vous l’avez déjà entendue, cette petite remarque qui vise à minimiser votre expérience désagréable qui, a juste titre, se définit légalement comme du harcèlement, une agression verbale qui n’a de désagréable que le prénom. Quand le “Vous êtes très mignonne mademoiselle” se transforme d’un coup en “Suce-moi sale pute” parce que vous avez osé garder la tête baissée. Ou parce que vous avez répondu non. Vous savez, ce petit mot, si lourd de sens et si fréquemment ignoré : “Non”.
Je ne vous donne pas mon numéro, non. Pas non plus envie de te suivre, non. Non, je n’ai pas envie de discuter. Pourriez-vous vous éloigner, je ne souhaite pas que vous vous colliez à moi, que vous me touchiez, que vous approchiez vos lèvres de mon visage. Non, je ne veux pas que vous me tutoyez, je ne vous connais pas. Non. Le harcèlement de rue, ce sexisme ordinaire, nous a toutes touchées. Au propre comme au figuré.
Le harcèlement de rue est sournois
Bien souvent, c’est chuchoté. Vicieux. C’est un regard libidineux qui s’éternise sur vos seins. Un sifflement qui interpelle de la plus grossière des manières depuis le trottoir d’en face. De quoi se plaint-on, ce sont des compliments. À tel point que le malentendu s’insinue dans les cerveaux des Messieurs bien élevés, qui eux ne se permettraient jamais de se comporter de la sorte, mais qui, mettant de côté l’aspect un peu rustre, ne trouvent pas grand chose à redire à un joli compliment de rue.
Cependant, réfléchissons. En quoi se faire invectiver par un inconnu sur la voie publique représente-t-il un moment agréable ? Vous imaginez-vous le faire aux Messieurs ? Allons, gentes Dames, ne me dites pas que vous ne vous fendez jamais d’un “Beau p’tit cul !” quand vous voyez passer le livreur du café du quartier ! Jamais un “Avec ce short, je te sens chaud, je te sauterais bien” ? Ah bon ?
Votre histoire est notre histoire à toutes
Emanouela, influenceuse féministe basée à Berlin, entre autres, s’est mise à récolter des récits, courts, percutants, de harcèlement de rue. Ils semblent anodins, chacun. Mais tous ensemble, en y repérant récurrence et (surtout) expérience, ça fait froid dans le dos. Depuis 2020, Emanouela a déjà rassemblé plusieurs milliers de témoignages qu’elle relaye sur le mur du compte @disbonjoursalepute. C’est brut et c’est vrai.
Les femmes racontent ce qui semble toujours être une anecdote. Ce petit rien dont on peut se défaire, qu’on oublie. Qu’on doit oublier. Parce que c’est un passage obligé. Que c’est comme ça que le monde fonctionne. Mais c’est vrai qu’elle me met en valeur cette jupe !
Et puisque la pire ennemie de la femme, c’est elle-même, ce qui malgré tout se lit entre les lignes ce sont les justifications, les excuses. Non, je ne peux pas vous donner mon numéro, j’ai déjà un homme dans ma vie. Je ne vais pas vous suivre dans votre chambre d’hôtel, je suis enceinte. Pouvez-vous enlever votre main de mes fesses, je suis pressée ? Mais non Mesdames ! Et arrêtez de préciser la manière dont vous êtes vêtues, car la tenue ne fait pas l’occasion, elle n’engage à rien. Du moins, elle ne devrait pas…
Un sourire peut-il être considéré comme du harcèlement de rue ?
Ce post a soulevé de nombreuses réactions, d’hommes et de femmes, qui ne comprenaient pas comment un simple sourire pouvait être considéré comme un type de gestes s’apparentant à du harcèlement de rue. Effectivement, on peut se poser la question. Si échanger un sourire avec un inconnu dans la rue relève du sexisme ou de l’agression, où va le monde !
Et pourtant. Bien souvent, ce n’est qu’un sourire, un signe de connivence, de complicité, de politesse. Parfois, malheureusement, cet insignifiant soulèvement des lèvres, ce regard croisé, suffit à donner des idées, à ouvrir une porte.
Mais quelle porte ? Comment un sourire peut sous entendre : “Oui Coco, j’ai envie de toi, là, maintenant, tout de suite !” ? On peut alors comprendre que bon nombre de femmes hésitent avant de partager un geste de sympathie avec un homme. De la même manière qu’elles accélèrent le pas en croisant un groupe de Messieurs. Instinctivement.
La solution ? L'éducation des hommes... et des femmes
C’est ce qui doit s’appeler le conditionnement. Social, moral, mental. Nous nous mettons inconsciemment dans une position de responsabilité ou de soumission. Même le rejet doit flatter le flagorneur et ne pas trop égratigner son ego. Mais pauvre mec, tu es juste répugnant de t’adresser de cette manière à quelqu’un. Et puis, je ne veux pas parce que je ne veux pas, point. Non c’est non !
Sauf que… c’est rien. Un sourire, c’est rien. Se faire siffler ? C’est rien. Ou pas grand chose.
Mais un rien, plus un rien, c’est quand même quelque chose. Et ça suffit. Nous avons toutes eu ce sentiment de malaise, d’insécurité, de honte, d’angoisse, de dégoût au moins une fois dans l’espace public. Nous avons toutes glissé nos clés entre nos doigts, au cas où.
N’est-ce pas alors du ressort des parents, des enseignants de donner aux garçons comme au fille une éducation claire sur ce qui n’est pas acceptable ? Nous ne pouvons que nous réjouir que l’équipe de Emanouela ait obtenu, non sans mal, en février 2023 l’agrément académique pour pouvoir intervenir dans les écoles et faire de la prévention (directeur.trice d’établissement, instituteur.trice, voici leur mail pour organiser une intervention : prevention.scolaire@dbsp.fr).
Puisque nous ne sommes pas tous égaux à la maison, l’école a évidemment et plus que jamais un rôle à jouer. Et il y a du boulot ! Avez-vous déjà assisté à une sortie de Collège ou une récréation d’école primaire dernièrement ?
© Stop Harcèlement De Rue
Lire, partager pour annihiler le harcèlement de rue
Rendre visible le harcèlement de rue pour mieux l’éradiquer. Pour conscientiser que ce n’est pas normal, que ce n’est pas anodin ni acceptable. De “Dis Bonjour à la Dame” à “Dis Bonjour sale pute”, de la politesse éducative aux agressions verbales, les demoiselles entrent dans la vie adulte (trop tôt) avec un bagage lourd de pierres et de couleuvres à avaler.
Mais, jeune fille, garde tes traumatismes pour toi, tu es une femme. Et les femmes sont au service des yeux et des désirs de l’homme. De certains hommes, seulement, heureusement. Un nombre conséquent néanmoins, puisqu’ils courent les rues, toutes générations confondues, en pleine impunité.
Les autres, les hommes qui ont une notion de respect, se doivent alors de s’abonner à ce compte Instagram. Si, si. Notamment, pour saisir l’ampleur et l’inénarrable banalisation de ces actes quotidiens non réprimandés, trop rarement stoppés par leurs témoins, qui rendent les rues anxiogènes pour les mères, les filles, les grands-mères, les soeurs.
Ensemble contre le sexisme et les agressions banalisées
Messieurs, avez-vous déjà ressenti la peur en marchant sur un trottoir en plein jour ? Le sentiment étrange et désagréable qui vous fait baisser les yeux quand vous croisez un groupe de piétons, un chantier, une terrasse de café ? Sachant que ce type d’agressions verbales ou physiques touchent aussi certains d’entre vous, les discriminations ne s’arrêtent pas qu’aux femmes, nous ne voulons en aucun cas généraliser. Sauf que.
Il se trouve que si vous êtes un homme blanc hétérosexuel, la potentialité de vivre ce genre de situations s’amenuise. Soyons honnêtes. Mais ce n’est pas une raison pour les ignorer. Nous avons besoin de vous. Lisez, écoutez, réagissez. Peut-être en n’acceptant plus d’être passif lorsque vous assistez à ces scènes, dans la rue, le métro, les bars, votre groupe de potes. Un petit rien… qui peut faire toute la différence, au moins pour la victime que vous aurez soutenue.
Et puis vous Mesdames, nous toutes, qui l’avons déjà vécu, avec plus ou moins de forces et de conséquences, non seulement, croyons nos filles, nos élèves, nos nièces. Et disons-leurs tout de suite que, non, ce n’est pas normal, non, ce n’est pas banal, non, ce n’est ni anecdotique ni anodin. Mais aussi, ne nous mettons pas à la place de l’agresseur. Par dépit, par insolence, jalousie, frustration, bêtise ou quelle qu’en soit la raison, s’insulter parmi, c’est non. C’est non !