Montreux. Refuge de stars, noyau de la musique internationale sur la paisible Riviera helvète. Lieu propice pour l’organisation d’une avant-première du film tant attendu (et redouté par les spécialistes pointus), le biopic retraçant l’aventure du plus grand groupe de l’histoire européenne (oui, les superlatifs sont de rigueur, n’en déplaise aux fans des Beatles ou des Stones, on s’en fiche) bien nommé Bohemian Rhapsody. Magistralement interprété par un Rami Malek portant des dents presque trop imposantes pour être vraies, Freddie Mercury vit devant nos yeux (un poil nostalgiques). L’acteur se glisse dans les jeans moulants, enfile le cuir, le lycra et les épaulettes, chausse les baskets, s’approprie les gestes et la majesté du leader de Queen et le tour est joué. Tout en grâce en privé il devient léonin, spectaculaire dès qu’il franchit les rideaux des scènes du monde entier. The show must go on. Nous étions à Montreux, d’abord au Casino Barrière pour s’imprégner, s’immerger dans l’atmosphère en visitant le Queen Studio Experience, où ont été enregistrés plusieurs albums dont aussi les derniers morceaux de Mercury avec le groupe. Puis, direction le cinéma Hollywood pour découvrir le film. C’est parti !
Dès les premières images, les accords résonnent et les sourires se dessinent. L’émotion est là, teintée d’humour et d’énergie de vie, aussi puissante que les yeux de Freddie sont doux et plein de malice. À l’aide de plans indéniablement maîtrisés, de costumes fidèles, on suit le jeune iranien, de son foyer parental aux valeurs traditionnelles à sa rencontre avec deux musiciens aux coupes loufoques. Ensemble ils bâtiront un empire, de la première scène à celle qui réunira des centaines de milliers de personnes. Audace musicale, lyrisme sur riffs de guitare, extravagances provocantes et certitude totale de tenir quelque chose. Une étincelle de modernité, des fulgurances, des idées hors normes qui feront révolution. Les poils se dressent devant les reproductions de concerts, de stades noirs de monde, Rio, qui entonne Love of my Life…
On peut éventuellement douter de l’objectivité de certains partis pris en considérant l’implication des deux derniers survivants du groupe dans le projet de film. Ainsi, Freddie Mercury était-il si seul hors des tournées et des enregistrements ? Le lancement de sa carrière solo était-elle conflictuelle à ce point ? A priori, tous les membres du groupe ont mené des projets solos avec plus ou moins de succès, qui n’ont jamais remis l’entité Queen en question. Et qu’en est-il de l’emprise si insistante de cet assistant ? Le génie homosexuel abandonné à ses démons et à sa solitude n’est-elle pas un peu clichée au vu de la décadence débridée et pleine d’imagination de Mercury ? Un film ne serait pas une oeuvre sans angle de vue, sans romance, sans un brin de magie ajoutée. Il ne s’agit pas d’un documentaire, n’en déplaise aux puristes.
Le groupe en tant qu’entité indémantelable est mis en valeur, cela dit, on ne peut nier qu’il n’a plus jamais été au sommet au décès de son leader. Freddie Mercury était sa voix, son corps, sa légende. Il n’était peut-être pas vraiment Mercury sans les trois autres membres qui n’étaient également pas tout à fait complets sans Freddie. On le garde à l’esprit tout au long du film, sans jamais en oublier la fin, la vraie. Mais comme dans Roméo & Juliette ou dans Titanic, on a beau savoir comment ça se termine, on espère. On croise les doigts.
Un ou deux bémols, quelques petites longueurs, mais le film offre une plongée en apnée dans les années 80, en compagnie d’acteurs éclatants de justesse, notamment les différents seconds rôles, dont Gwilym Lee interprète de Brian May le guitariste. Du coup, ça fait deux jours que nous lisons, mangeons, dormons Under Pressure. Musique, interviews, innombrables pages Wikipedia, non moins innombrables vidéos sur YouTube, nous nous rendons compte que Queen fait partie de la bande originale de nos vies sans que nous ne nous soyons penchées plus que ça sur la trajectoire de ce groupe littéralement génial.
Géant de la scène, Freddie Mercury a ouvert une porte dans laquelle se sont ensuite engouffrés les plus grands chauffeurs de foule de notre ère. Et quand on s’attaque à un titan, ça remue forcément un peu…
Bohemian Rhapsody
Un film de Brian Singer avec Rami Malek, Lucy Boynton, Gwilym Lee, Ben Hardy, Joseph Mazzello, Aidan Gillen, Tom Hollander, Allen Leech, and Mike Myers
Sortie le 31 octobre 2018