Après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, la prison de Guantanamo sort de l’ombre. Hors de toute juridiction, ce qu’il s’y passe est classé secret-défense. Le cerveau présumé des attentats, désigné coupable, y est enfermé. Il s’appelle Mohamedou Ould Slahi, dit le Mauritanien.
On se souvenait de sa magistrale prestation dans le film de Jacques Audiard, Le Prophète, déjà dans une prison. Depuis, il s’était fait discret. Presqu’invisible. On l’aurait presque oublié. Or, le monde du cinéma n’a d’yeux que pour lui aujourd’hui. Tahar Rahim, acteur français au talent aussi parfait que son accent anglais, caméléon sans frontières, peut tout jouer. Parfait en asiatique dans la série Le Serpent (disponible sur Netflix), évident en mauritanien aujourd’hui au cinéma. Il donne la réplique à la mythique Jodie Foster et campe un personnage aussi crédible qu’il est réel, qu’il existe en chair et en os. Avec maestria, Tahar Rahim se construit un nom international et éclabousse le grand écran de son jeu tout en finesse dans The Mauritanian (Désigné coupable). Chapeau bas.
Quand la réalité est plus forte que la fiction
Il existe des films qui nous scotchent à notre fauteuil. Ceux qui font peur, ceux qui impressionnent par leurs images, ceux qui secouent jusqu’au plus profond des tripes. The Mauritanian fait partie de ceux-là. Pas parce qu’il est particulièrement impressionnant. Quoique. Mais parce qu’on ne peut s’empêcher, tout du long, de se rappeler que c’est une histoire vraie. Que des humains comme Mohamedou Ould Slahi ont subi le pire sans que leurs bourreaux n’aient eu à craindre la moindre sanction. La plus petite réprimande. Au nom de la justice.
Les attaques du World Trade Center ont attisé les bêtes cruelles qui peuvent se tapir en chacun de nous. Celles qui ont soif de vengeance, celles qui ont peur de ce qui est différent, qui stigmatisent et généralisent. Aveuglement.
Georges W. Bush a pris la décision de situer ce camp de détention sur une base militaire hors de toute juridiction. Barack Obama n’a pas réussi à la faire fermer avant la fin de ses mandats. Donald Trump a encouragé son fonctionnement. Tous ont, volontairement ou non, cautionné les dérives qui se sont déroulées à Guantanamo. Les yeux fermés. Aveuglément.
the Mauritanian – Désigné coupable
Capturé par le gouvernement américain, Mohamedou Ould Slahi est détenu depuis des années à Guantánamo, sans jugement ni inculpation. À bout de forces, il se découvre deux alliées inattendues : l’avocate Nancy Hollander et sa collaboratrice Teri Duncan. Avec ténacité, les deux femmes vont affronter l’implacable système au nom d’une justice équitable. Leur plaidoyer polémique, ainsi que les preuves découvertes par le redoutable procureur militaire, le lieutenant-colonel Stuart Couch, finiront par démasquer une conspiration aussi vaste que scandaleuse. L’incroyable histoire vraie d’un combat acharné pour la survie et les droits d’un homme.
Du divertissement pédagogique
Quand le réalisateur Kevin Macdonald a parlé avec Mohamedou Ould Slahi aux prémices du projet, il a tout de suite été question de faire un film qui soit le plus “hollywoodien” possible. Pas question d’en faire une figure de style, une oeuvre de niche. Il fallait que cette histoire couchée par Mohamedou dans Les Carnets de Guantanamo lorsqu’il y était encore détenu puisse toucher un maximum de gens, soit portée à la connaissance du monde entier. Que le film soit un vecteur pédagogique, d’Histoire, un divertissement comme le cinéma américain sait le faire tout en présentant des humains exemplaires.
Un humain, en particulier. Pas étonnant que des acteurs d’envergure et de convictions comme Jodie Foster aient été touchés par le scénario. Elle interprète Nancy Hollander, l’avocate de renom qui a hérité du dossier de Mohamedou après qu’il ait passé plusieurs années d’incarcération et de torture sans procès ni défense. Déclaré coupable.
Un casting cinq étoiles
Assistée de Shailene Woodley (qui interprète l’associée de Nancy Hollander, Teri Duncan), Jodie Foster incarne, comme toujours, avec brio une femme froide à la prestance professionnelle palpable. Ses nuances, les émotions qui voilent son regard, ses silences sont un délice à observer.
Et pour parfaire le casting, Benedict Cumberbatch campe un militaire, touché de près par les attentats du 11 septembre, bien décidé à trouver un coupable. Un coupable ou le coupable ? Rares (voire inexistants) sont les films américains qui exposent à l’écran un personnage musulman qui soit “le gentil” de l’histoire face aux représentants de la loi et du gouvernement qui sont (on ne peut plus) dans l’erreur.
Quand Tahar Rahim rencontre The Mauritanian Mohamedou Ould Slahi
Ce qu’on retient de cette histoire, de ces images violentes, insoutenables parfois, c’est la personnalité lumineuse de Mohamedou Ould Slahi. L’acteur Tahar Rahim a su transmettre le profond humanisme du Mauritanien qui, après avoir été emprisonné à tort et torturé 14 ans de sa vie, est empli de bonté et de pardon. Pas question de cultiver le ressentiment à l’encontre de ses geôliers, du gouvernement américain, qui a pourtant traîné dans la boue son rêve d’un Occident démocratique et juste.
Bouleversant, sage hors norme, Mohamedou a marqué de son empreinte chaque image du film tant il a ému ses protagonistes. À l’image de Tahar Rahim qui a souhaité être le plus authentique possible, se mettant physiquement et émotionnellement au plus près des situations réelles, afin d’être à la hauteur de l’histoire avec un grand H.
Il existe des films nécessaires, qui remuent nos convictions, qui ébranlent les murs de nos certitudes et de l’image que nous avons de nous-mêmes. Et des illusions qui embrument les grandes démocraties. Qui remettent en question nos capacités à être humains. The Mauritanian (Désigné coupable) est de ceux-là.
The Mauritanian – Désigné coupable
Un film de Kevin Macdonald, avec Tahar Rahim, Jodie Foster, Shailene Woodley, Denis Ménochet, Benedict Cumberbatch…
En salle dès le 14 juillet 2021
