Quand une mère solo de deux enfants, habitant en banlieue, travaillant au centre de Paris, doit compter avec une grève des transports, sa vie bascule. Laure Calamy incarne avec une justesse folle cette femme qui ressemble à tant d’autres dans le film bien nommé À plein temps. Coup de stress coup de cœur.
Un rythme effréné soutenu par une musique électronique, presque mécanique. La vie de Julie est millimétrée, robotisée : enfants, métro, boulot, enfants, peu de dodo. Et puis les rouages se grippent. Grève des transports, le rythme a des ratées, la vie trébuche. Une semaine qui bascule, à se jeter sous les roues d’un train. Non, tête haute, on court, on se précipite, on a des enfants qui eux n’ont rien demandé. Laure Calamy incarne une femme ordinaire d’une vie ordinaire. Mère, ex-femme, employée d’un petit boulot alimentaire mais nécessaire en attendant un retour dans sa « carrière ». Comme un air de déjà-vu, mais dans sa version cauchemardesque. Un film à ne pas manquer et à montrer à toutes celles, à tous ceux, qui se plaignent À plein temps.
Une société cruellement mal faite, quand les petits riens s'accumulent

Tin tin tindin. Pas besoin de vous faire un dessin. Si on ajoute : SNCF comme indice, vous avez, forcément, la mélodie dans l’oreille. Le pendulaire Éric Gravel, avec son accent québécois à couper au couteau, s’est rendu compte de la fatigue que c’était de faire des aller-retour de son domicile campagnard à la ville, et s’est alors penché sur le quotidien harassant de ces sprinters de la semaine, de ces travailleurs en transports en commun. Il crée alors un personnage plus vrai que nature, Julie, et un scénario au rythme effréné qui enveloppe et emprisonne. Son film est haletant, stressant, angoissant, presqu’un thriller contemporain de la banalité.

À PLEIN TEMPS
Julie se démène seule pour élever ses deux enfants à la campagne et garder son travail dans un palace parisien. Quand elle obtient enfin un entretien pour un poste correspondant à ses aspirations, une grève générale éclate, paralysant les transports. C’est tout le fragile équilibre de Julie qui vacille. Elle va alors se lancer dans une course effrénée, au risque de sombrer.

Un film profondément concret qui dénonce les accrocs d’une société pourtant moderne, d’un monde pourtant civilisé. Mais qui abandonne des gens, des femmes, sur le bord du chemin. Ce n’est pas la misère, non, c’est juste l’improbable incompatibilité entre le mode de vie, l’exigence demandée, et l’infrastructure mise à disposition. Une existence choisie qui finit par être subie, entre obligations et injonctions. Car Julie est une bonne mère, une employée méticuleuse, une femme intelligente, éduquée, cultivée. Elle est vous, elle est nous, elle est des milliers de femmes. À plein temps.
Magistrale Laure Calamy
Elle est de tous les plans. Héroïne contemporaine, héroïque et si banale, normale, presqu’invisible. Elle court, elle court Laure Calamy. De train en bus en voiture qui co-voiture. Il fait nuit quand elle part, il fait nuit quand elle rentre. Sans jamais céder au désespoir ni à l’hystérique colère qui serait pourtant si légitime, le personnage de Julie avance, toujours, encore, tient debout. Elle n’a pas le choix. Et Laure Calamy qui l’incarne tout en subtilité arrive à transmettre la tension qui la traverse d’une crispation des lèvres, d’un froncement de cette fameuse ride du lion. Celle de l’inquiétude, constante. Jamais tranquille, au point d’en oublier de considérer les autres, si concentrée qu’elle est sur son cercle vicieux d’urgences à traiter.

Pas une vie d’échec, pas une existence ratée, non, pas jusque-là. Juste une vie de mère toute seule, en somme. À laquelle s’ajoute la tonitruante absence du père, les heures matinales du réveil, la petite maison villageoise si éloignée de son lieu de travail, et puis la grève. Pas la sienne, celle des transports. SNCF, RATP, plus de trains, plus de service minimum. Il n’y a pas d’autre mot : c’est la merde. Et puis, on peut ajouter une remarque sexiste d’un passant par-ci, la condescendance d’une RH par-là, la pluie, la pension alimentaire qui n’arrive pas, la nounou qui flanche. Une semaine de merde. Mais un film excellemment réalisé, écrit, pensé. Une claque qui réveille les privilégié(e)s et mérite plus qu’un détour. Bravo.

À PLEIN TEMPS
Un film de Éric Gravel
Avec Laure Calamy, Anne Suarez, Geneviève Mnich
Au cinéma dès le 16 mars 2022