Cyril Dion a encore foi en l’humain, à condition qu’il n’oublie pas qu’il est avant tout un animal… Entretien entre deux trains avec le réalisateur écologiste.
Loin d’être pessimiste, l’activiste Cyril Dion reste convaincu qu’il y a du bon dans l’être humain et qu’il est capable de grandes choses, de magnifiques actions. À condition peut-être de s’extraire de la masse et du système d’hyper consommation dans lequel nous sommes tous englués. Pas facile. Mais pas impossible non plus.
Après DEMAIN, documentaire coréalisé avec Mélanie Laurent, où il déroulait une avalanche de belles actions inspirantes qui ont changé des trajectoires de vie et motivé des troupes entières, Cyril Dion emmène avec lui deux jeunes pour continuer de sensibiliser le grand public.
L’interview vidéo de Cyril Dion
ANIMAL est un appel à protéger le vivant dans son ensemble, à grands cris. Une leçon d’humilité, notamment rabattue épar la grande primatologue Jane Goodall. Qui sommes-nous, pauvres humains pécheurs pour nous croire supérieurs à toute l’immensité du vivant ? Que croyons-nous en le détruisant systématiquement, avec méthode ? Nous finissons par nous détruire nous-même, par nous oublier, par mépriser notre essence même.
ANIMAL
Qu’est-ce que révèlent de nous les élevages intensifs de lapins que nous visitons dans le film et que nous tolérons tout le reste du temps ? Loin des yeux, loin du cœur, comme pour les décharges de plastique qui ne nous concernent pas, là-bas, tout là-bas en Inde.
Encore un film qui culpabilise ? Sans doute, mais sans le vouloir, tant les démarches de l’écologiste son mues par le désir de motiver et d’éclairer. Or, peut-être qu’à force d’abattre le marteau sur le clou, l’idée que nous sommes les seuls maîtres de notre destin commun finira par rentrer. Ce n’est pas le juste combat du cinéaste qui dira le contraire. Et il y croit encore, en notre capacité à redresser la barre. Le découragement n’a pas encore eu raison de Cyril Dion et il nous le confie sur le quai d’une gare, entre deux projections scolaires de son film documentaire fraichement sorti.
Cyril Dion, activiste optimiste : l’interview intégrale
©JoelSaget/AFP
Bonjour Cyril Dion ! Vous enchaînez les projections scolaires de votre nouveau documentaire ANIMAL. Quelle est la question de ces jeunes gens la plus récurrente que vous entendez à l’issue du film ?
Cyril Dion : La question la plus récurrente est : « Pourquoi cet éleveur de lapins… Pourquoi il fait ça ? » (Rires) « Pourquoi est-ce qu’il élève des lapins dans des cages ? Et comment vous avez réussi à le convaincre d’être filmé et d’être à l’écran ? »
Quelle est leur plus grande peur ?
Cyril Dion : Leur plus grande peur ? C’est de ne pas avoir d’avenir. La disparition des espèces, le changement climatique leur laissent une planète un peu inhabitable. Et ça leur fout la trouille. Il y en a plein qui ont la trouille. Et qui ne savent pas trop quoi faire. Ils se sentent démunis parce que c’est écrasant comme sujet.
Et quel est leur plus grand espoir ?
Cyril Dion : Leur plus grand espoir serait de donner du sens à leur vie. Beaucoup de jeunes demandent ce qu’ils peuvent faire. Comme métier. On l’avait vu avec DEMAIN déjà. C’était très impressionnant à quel point il (le film documentaire DEMAIN) a bouleversé des trajectoires entières de jeunes. Ils étaient au lycée et ont choisi leurs études en fonction de ça, ils faisaient des études universitaires et ont changé, ont pris un Master, etc. Ça c’est encourageant. C’est-à-dire que s’ils font tous des métiers qui nous aident à réparer le monde, ça serait pas mal.
Quelle est la scène qui vous a touché en plein cœur pendant le tournage, vous qui n’en êtes pas à votre première constatation de tragédie écologique ?
Cyril Dion : Ce n’est pas très original mais c’est l’élevage intensif de lapins. On a été vraiment… Pfffff…. On est tous ressortis dans un état pas possible de ce tournage-là. Et pourtant on sait ce qu’est l’élevage intensif. Ce n’était peut-être pas le pire non plus, ce n’était pas 30’000 poulets dans un hangar. « Que » 8’000 lapins dans des cages. Mais le bruit, l’odeur, cette vision de ces lapins qui étaient tous les mêmes, hyper standardisés, avec les yeux rouges.
Ce décalage avec Bella et Vipulan qui sont véganes, qui viennent un peu du futur, qui regardent le monde avec des yeux du XXIe siècle, et qui ne comprennent pas, eux, pourquoi. Qui ont une émotion très forte. Moi, j’étais aussi très bouleversés par eux. J’étais très attentif à Bella et Vipulan tout le temps. Bella était au bord des larmes, décomposée. Ça nous a bien secoués, oui, ça nous a bien retournés.
La deuxième, c’était en Inde. On a eu l’impression de passer une semaine dans une décharge géante.
Et puis, d’arriver comme des Occidentaux dans un monde où les gens sont aussi dans une grande pauvreté. Nous, nous rentrions dans notre hôtel d’Occidentaux le soir. On s’est fait, à la fois des grandes plages recouvertes de plastique, mais aussi des bidonvilles où ils font du recyclage et où il y a des femmes qui sont assises 12 heures par jour, par terre, pour trier des bouteilles, des bouchons. Alors on se dit que non, ce n’est pas possible, quoi. Si c’est ça la société de consommation, c’est-à-dire si ça nous emmène là, si ça fait vivre ces gens dans une espèce de poubelle géante… On ne peut pas continuer ça.
Est-ce que vous gardez espoir ? Est-ce que ce sont les jeunes qui vous donnent cet espoir ou est-ce que vous remarquez que les gens de « nos âges » commencent à avoir une vraie conscience écologique, un sursaut ?
Cyril Dion : Ce qui me donne de l’espoir, ce sont les humains formidables qu’on rencontre partout. Y compris des vieux. Il y a même des vieux qui sont supers (rires) ! Vipulan (l’un des protagonistes du documentaire ANIMAL) sur toute la tournée (projection du film en public) n’a pas arrêté de dire : « Il y a des vieux qui sont bien ! Regardez Cyril, il est vieux mais… il est bien quand même ! » (Rires)
Il y a des gens extraordinaires, partout !
C’est ça qui donne de l’énergie malgré tout. Les humains sont capables du pire mais ils sont aussi capables du meilleur. Là, on a vu le Costa Rica qui arrive à ré-ensauvager son pays, à passer de 20% à 50% de couvert forestier en 40 ans. C’est quand même extraordinaire, ce président du Costa Rica, un quarantenaire qui est en train de se battre pour que ce soit interdit par la loi d’utiliser le pétrole dans son pays.
De voir ces agriculteurs en Normandie qui ont la cinquantaine et qui ont vraiment élaboré un modèle et produisent des fruits et des légumes tout en faisant revenir la biodiversité. C’est-à-dire qu’il y a plus d’abeilles, plus d’oiseaux, plus de vers de terre dans leur ferme qu’il y en avait avant que la ferme n’existe.
Et puis, cet avocat indien qui se dit un jour : « Moi je ne peux pas laisser cette plage comme ça, j’y jouais quand j’étais petit, là c’est devenu une décharge. Il faut s’y mettre ! » Et il commence à ramasser et il entraîne des milliers de personnes avec lui. Il arrive ensuite à faire changer la loi dans tout l’état dans lequel il vit, à faire fermer 80 fabriques de plastique… Enfin, ça nous montre bien que ce n’est pas l’humain dans son ensemble qui est pourri. C’est vraiment un système dans lequel on est entraîné.
À partir du moment où on laisse la possibilité à des gens de s’emparer du problème, ils peuvent faire des choses absolument superbes.
ANIMAL
Un film documentaire de Cyril Dion
En salles depuis le 1er décembre 2021
© UGC / Orange Studio
Photo de Une : © Patrice Normand / Leextra