Histoire de viol ou de consentement ou de versions croisées d’une réalité, le film Les Choses Humaines adapté du livre de Karine Tuil interroge les perceptions et les jeux de pouvoir quand la situation dérape. Yvan Attal porte les plaidoyers d’une époque à l’écran, avec son fils dans le box des accusés.
Absolument dans l’actualité, dramatiquement banal, le sujet du film réalisé par Yvan Attal se pose dans l’ère du temps. Les choses humaines, les choses de la vie, des événements, insignifiants, qui arrivent tout le temps, parmi les gens. Sauf quand ça dérape. Mais est-ce que ça a seulement dérapé ? Les choses humaines se lisent différemment. Tout dépend d’où on vient, qui on est. Quelle place on a, chez les humains. Parmi eux, il y a un garçon et une fille.
Tous les garçons et les filles de leur âge…
Ils sont jeunes, ils ont la vie devant eux, un avenir à écrire et l’insolence de l’insouciance. Enfin, surtout lui. Sûr de lui, Alexandre Farel est brillant. Dans ses études, devant le clavier de son piano, même sur son tapis de course. Plein d’amis, des soirées qui se succèdent, il fait partie d’une caste dorée. Parents séparés, connus, il est un peu livré à lui-même mais ne semble pas en souffrir. À l’aise dans ses baskets comme en société, Alexandre pourrait en oublier que « les autres » existent. Difficile de le blâmer, il n’a jamais connu autre chose et ne saurait se remettre en question.
Mila, elle, est timide. Et puis elle ne sort pas beaucoup, ne boit pas. Ses parents sont divorcés et sa mère, très religieuse, espère pour elle un bon mariage. Jeune fille ni belle, ni laide, ni bête, ni volubile, banale, discrète, sympa, elle passe inaperçue mais vaut sans doute la peine d’être connue. Pour ceux qui daigneraient s’intéresser à elle. En fait, elle ne part pas du principe que le monde lui appartient, elle en fait partie, elle en est un rouage.
LES CHOSES HUMAINES
Un jeune homme est accusé d’avoir violé une jeune femme. Qui est ce jeune homme et qui est cette jeune femme ? Est-il coupable ou est-il innocent ? Est-elle victime ou uniquement dans un désir de vengeance, comme l’affirme l’accusé ? Les deux jeunes protagonistes et leurs proches vont voir leur vie, leurs convictions et leurs certitudes voler en éclat mais… N’y a-t-il qu’une seule vérité ?
Jeux de pouvoir et jeux de dupes ?
Quand Alexandre emmène Mila, la fille du compagnon de sa mère, à une soirée, il mène la danse. Au moment d’un pari idiot entre potes, d’un défi sexuel grossier, il ne voit pas le mal. Ils ont l’habitude, quand ils veulent, ils prennent, quand ils désirent, ils agissent.
Et si en face, le fameux « non » n’est pas prononcé ? Est-ce qu’il vont remarquer la gêne, la sidération, le frémissement de la peur, le dégoût ? Le non consentement ? Si Alexandre a été aveuglé par le désir qui brouille les pistes, qui floute la perception des émotions de l’objet de ce désir, est-il un violeur, un agresseur, un prédateur pour autant ?
Quelle est la parole qui prime, quelle est la version qui gagne et qui mérite d’être écoutée, respectée ? Et est-ce que, parce qu’Alexandre est issu des hautes sphères, il mérite des circonstances atténuantes ? Si Mila connaissait les codes d’une soirée d’étudiants « fils à papa », aurait-elle été victime, aurait-elle agi différemment. Aurait-elle réussi à dire non ?
Le fameux NON. Si le non n’est pas prononcé est-ce que le oui est forcément implicite ? La morale et la moralité de l’histoire change en fonction du décorum. Par la force des choses. Des choses humaines. Un rapport de force induit par une classe sociale, par la facilité, par le talent et l’intellect, par l’insolence.
Des enfants et des parents, Yvan Attal entre réalité et casting
Quel parent être, quel enfant croire. Outre les faits, l’agression, le dérapage, la fameuse zone grise, il est aussi question de parents. À commencer par le réalisateur du film «Les Choses Humaines », Yvan Attal, qui a découvert cette histoire en lisant le livre de Karine Tuil.
“J’étais ému par l’accusé – en qui je pouvais voir mon fils –, ému par la victime – en qui je pouvais voir ma fille -, je me suis totalement identifié aux parents des deux jeunes impliqués dans ce fait divers. J’ai modifié la structure de l’histoire – il y a « lui » puis « elle » et enfin le procès – pour que le spectateur prenne le temps de s’attacher à eux. J’avais envie de savoir d’où ils venaient, qui ils étaient, comment chacun avait perçu la soirée qui précède le drame, pourquoi elle estimait qu’il y avait eu viol et lui considérait qu’elle avait donné son consentement.”
On est tous ce parent. Qui s’imagine que ça pourrait arriver et qui se demande à quel moment il a failli. Et comment faire pour que ça n’arrive jamais. Yvan Attal a été ému par ces enfants dont la vie trébuche. À tel point qu’il n’a pas hésité à mettre en scène son propre fils dans le rôle d’Alexandre. Ben Attal, fils de Charlotte Gainsbourg dans la vie comme dans le film, lutte contre sa bonté, sa pudeur et sa douceur pour incarner ce jeune homme arrogant et sûr de lui, sûr de n’avoir rien fait de mal.
Un rôle lourd, fort et difficile dont le comédien assure les plus grandes lignes même si parfois on peut sentir ses épaules faiblir sous le poids de l’histoire et de l’accusation. Or, il se trouve que Ben Attal est connu, a des parents reconnus et il se trouve face à une toute jeune actrice prometteuse, Suzanne Jouannet, inconnue au bataillon. Fiction et réalité. Elle nous touche et s’illustre quand on a envie de le croire, parce qu’il nous est sympathique.
Quand les choses humaines sont publiques, la justice est médiatique
En trois parties, Les Choses Humaines se racontent du point de vue de Mila, du point de vue d’Alexandre avant de se recouper au tribunal, dans une bataille juridique (menée d’une main de maîtres par Benjamin Lavernhe et Judith Chemla) et médiatique. Une histoire au long cours, au temps long. Parce que rien ne va vite, ni la justice, ni la reconnaissance, ni la reconstruction.
Et puis une histoire à bout de micros, d’articles, d’écrans. Chacun a son avis et le publie, que l’on fasse partie des médias ou qu’on en soit spectateur. On va le détester, lui, qui a tout et dont les parents joués par Charlotte Gainsbourg et Pierre Arditi ne sont, ni n’importe qui, ni blancs comme neige. Elle, on va la traîner dans la boue, cette sainte-nitouche qui n’aurait jamais dû le suivre. Qui suivrait un garçon dans un local à poubelle si elle n’attendait rien de lui, hein ?
Quand un réalisateur, un homme, s’empare de ce sujet du consentement, de l’agression sexuelle, du viol, le besoin de se mettre d’un côté de la barrière, de dénoncer. Parce que ce n’est pas si simple, en ce moment, de laisser planer la zone grise. À l’instar du film de Ridley Scott, Le Dernier Duel, on sent une certaine insistance, sans oser parler d’exagération, on sent un peu le malaise de l’homme qui ne veut surtout pas que l’on doute de son appartenance à la cause des femmes. Et c’est bien ! Reste que la nuance existe. Dans le livre de Karine Tuil, comme dans la vie…
LES CHOSES HUMAINES – le film
Un film de Yvan Attal avec Ben Attal, Suzanne Jouannet, Charlotte Gainsbourg, Mathieu Kassovitz, Pierre Arditi, Audrey Dana, Benjamin Lavernhe, Judith Chemla
En salles dès le 1er décembre 2021
©Jérôme Prébois / 2021 CURIOSA FILMS – FILMS SOUS INFLUENCE – GAUMONT – FRANCE 2 CINÉMA