Quand l’amour est plus fort que tout, l’actrice Fanny Ardant ne se tient pas très loin. Aux portes de la tragédie, elle incarne une femme qui laisse entrer la passion dans sa vie, comme un grand courant d’air, de celles qui dévorent l’âme et laissent sans voix. Fanny Ardant a gardé la sienne, vibrante, pour nous parler de ce film, Les Jeunes Amants, qu’elle défend avec cœur et intelligence.
Des films de Truffaut, Costa-Gavras, Scola, Antonioni à Pédale Douce en passant par 8 Femmes de François Ozon ou les pièces de Marguerite Duras l’actrice de théâtre et de cinéma Fanny Ardant maque de son empreinte, de son sourire immense, de sa voix veloutée, de son panache, chaque rôle qu’elle incarne, chaque femme de caractère qu’elle interprète, chaque diva malicieuse dont elle prend la pose. Enjôleuse mais pas nunuche, franche sans fanfreluches, elle est avant tout une passionnée de vie, de grands personnages, de causes à défendre, d’amour. Et c’est d’amour dont il s’agit dans Les Jeunes Amants le dernier film sorti sur les écrans au service duquel elle prête son talent. Fanny Ardant, c’est aussi une icône libre au verbe haut, qui se retient de déborder. Une figure de proue avec laquelle nous avons eu le plaisir de converser. Interview.
L’interview vidéo de la magnétique et souriante Fanny Ardant
LES JEUNES AMANTS
Shauna, 70 ans, libre et indépendante, a mis sa vie amoureuse de côté. Elle est cependant troublée par la présence de Pierre, cet homme de 45 ans qu’elle avait tout juste croisé, des années plus tôt. Et contre toute attente, Pierre ne voit pas en elle “une femme d’un certain âge”, mais une femme, désirable, qu’il n’a pas peur d’aimer. A ceci près que Pierre est marié et père de famille.
Hymne à l’amour et à la liberté
Si la différence d’âge entre les deux protagonistes du film a fait les gros titres des médias, ce n’est pourtant pas le sujet des Jeunes Amants de la réalisatrice Carine Tardieu. Inspirée d’un récit bien réel, l’histoire évoque plutôt l’amour qui ne prévient pas et la liberté que l’on prend à le suivre, quoi qu’il advienne, quoi qu’il en coûte. Et peu importe si autour, les gens ne comprennent pas, s’ils en souffrent. Peu importe… presque.
Parce que ce serait si simple d’aimer hors de la société. Si le regard, les préjugés, les tabous n’étranglaient pas les enfants, amis, femmes de ces jeunes amants, ne peuvant imaginer cet amour comme légitime, naturel et évident. L’actrice magnétique Fanny Ardant incarne avec grâce cette femme, Shauna, prise en étau entre son cœur et sa raison, consciente du peu d’avenir qui existe pour cette relation et du fracas qu’elle impose à ses proches, sans pouvoir y résister non plus. L’amour est toujours plus fort. Fanny Ardant nous en parle avec toute la liberté qui la définit.
Voix mythique et boucles folles, l’interview intégrale de Fanny Ardant
Chère Fanny Ardant, merci de nous consacrer du temps. Pour commencer, une petite question rituelle : pourriez-vous vous présenter à votre manière ? Vous avez carte blanche…
Fanny Ardant : Bonjour. Je viens d’un train qui m’a amené d’une ville qui s’appelle Paris jusqu’ici. Et mon nom est Fanny Ardant.
Le film, Les Jeunes Amants, a fait l’objet de beaucoup de promotion, à laquelle vous vous êtes prêtés, Melvil Poupaud et vous avec coeur. Est-ce que c’est parce que ce film est un réel coup de cœur ou est-ce parce qu’il traite d’un sujet qui nécessite justement qu’on en parle, à deux notamment ?
Fanny Ardant : Je ne sais pas, ça c’est une question… C’est plutôt dans le sens contraire : pourquoi les journalistes, pourquoi les télévisions se sont tellement intéressés à ce film ? Vous savez bien que c’est toujours l’offre et la demande. Donc, on a été très sollicités, par les journaux, par les radios, les télévisions. Et forcément, moi, ainsi que Melvil, ainsi que les acteurs et le metteur en scène Carine Tardieu, avons été très heureux en faisant ce film, et donc très heureux d’en parler.
Dans toute cette promotion, il a été, forcément, question d’âge… Est-ce que vous avez dû vous préparer un peu moralement aux questions et aux remarques qui ne manqueraient pas d’arriver ?
Fanny Ardant : Je me prépare toujours moralement pour ne pas dépasser les bornes. Pour être… comestible. Mais je m’en fiche qu’on parle de l’âge sans arrêt. Souvent, les questions sont les mêmes. Ce qui est intéressant c’est de savoir si on va pouvoir donner des réponses un peu différentes. Ou peut-être qu’à cause des questions toujours les mêmes, on est obligé de réfléchir et on comprend des choses qu’on n’avait peut-être pas comprises. Mais moi je ne me prépare jamais. À vos risques et périls. (Rires)
Pour préparer notre entretien, nous avons évidemment regardé toutes ces interviews après avoir vu le film et nous avons remarqué que la plupart du temps, les gens étaient passés à côté. Parce qu’en fin de compte, ce n’est pas d’âge qu’il s’agit…
Fanny Ardant : Vous savez que c’est très bien, parce que j’ai entendu Carine Tardieu, quand on a fait des avant-premières avec le public, et qui disait que finalement, la différence d’âge n’était pas un sujet. C’est ce qu’il se passe entre ces deux personnes. Comment ça fait écho pour tous les membres affectueux de la famille, les filles, intergénérationnelles, c’est ça ! Et je répondais que ce n’était pas du tout toute cette nouvelle vague qu’on a vu arriver d’Amérique. Ou en disant (fait claquer ses doigts) : les cougars. Ça n’a rien a voir.
Ce n’était pas sexuel. C’était irrépressible.
Souvent, Carine Tardieu me disait : « Ce n’est pas une séductrice ». Donc ce n’est pas quelqu’un qui a jeté son dévolu sur quelqu’un d’autre. Ce sont deux personnes, au moment où ils s’y attendent le moins. Et c’est absolument la définition de l’amour. C’est quand on ne s’y attend pas, quand on ne l’attend pas, quand on ne fait pas de plans sur la comète, tu vois. Et qu’on pense même qu’on n’est plus fait pour ça. Mais… l’amour a plus de tours dans son sac…
Dans le film, Cécile de France est la femme trompée qui est représentée avec un look plutôt vieillot, pas forcément à son avantage, alors que le personnage de Shauna est libre, un peu sauvage, attrayant. Est-ce qu’il serait possible que ce soit également une façon de « justifier » cet adultère au grand écart d’âge ?
Fanny Ardant : Oui, mais… Je ne peux pas répondre à la place de Carine, (Tardieu, la réalisatrice) mais je crois que si je repense au personnage de Cécile de France, avec son mari, ils ont vécu une tragédie. Et ils se sont un peu soutenus l’un l’autre comme deux rescapés. Donc, elle a dû oublier tout ça. Et même le couple. Souvent, les familles peuvent mettre en péril l’histoire d’amour entre un homme et une femme , curieusement. Avec ça, le côté… routine. Et tout d’un coup, malgré tout, elle s’aperçoit qu’il la trompe. Mais lui n’est pas un mari adultère, dans le sens où il lui dit tout de suite. Et elle éclate de rire en lui disant :
« Mais c’est une vieille dame ! »
Là, elle est assez intelligente pour comprendre qu’elle est beaucoup plus en péril. Justement, Carine et moi, nous n’étions pas d’accord sur le sens de cette scène, quand Cécile de France vient me voir. J’ai toujours été très attirée par les personnages dostoïevskiens : où est le bien, où est le mal ? Est-ce que tu vas sauver ton âme ou est-ce que tu vas la perdre ? Là, quand elle vient la voir – on ne va pas tout dévoiler – moi je pense qu’elle aime tellement son mari, qu’elle préfère qu’il soit heureux que malheureux. Donc, cette tragédie qu’ils ont vécue ça les a soudés, d’âme à âme. Alors peut-être ce fait qu’elle ne soit pas… (elle claque des doigts), c’est qu’elle s’est oubliée.
Justement, on vit une époque où tout devient un peu flou : les hommes, les femmes, les normes, les genres, etc. Est-ce que vous croyez aux âmes ?
Fanny Ardant : Moi, je crois que c’est ça. Parce que je pense qu’il existe aussi la grande attirance sexuelle, mais elle a un début, un milieu et une fin. C’est comme si vous alliez au restaurant. Aussi quand vous payez une chambre d’hôtel. Ou même si vous payez une prostituée ou un escort boy, c’est un deal. L’amour, c’est tout d’un coup ce qui vous empêche de respirer. Ce qui fait que vous devenez idiot. Que vous perdez les capacités de séduire, justement. Et c’est quelque chose que vous ne pouvez pas contrôler. En fait, chaque fois qu’on parle d’âme, c’est quelque chose qui n’est ni votre corps, ni votre mental, ni votre esprit. C’est ce qui est vous, d’une façon qu’on ne peut pas attraper.
Dans un portrait de vous qui a été réalisé dans l’émission de Claire Chazal, vous êtes décrite comme une croqueuse d’homme qui aime les voyous. Quel genre de voyou est Melvil Poupaud ?
(Elle lève les yeux au ciel en riant)
Fanny Ardant : Il est libre. Un voyou n’a pas forcément un flingue. Un voyou, c’est quelqu’un qui n’obéit pas aux diktats de la société. Et c’est de plus en plus facile d’être un voyou parce qu’il y a de plus en plus de diktats. En disant : « Tu ne feras pas ci, tu ne feras pas ça, tu marcheras droit, tu diras ça. Ah, tu as dit ça donc tu ne feras pas ça… » C’est une sorte de ribambelle de lois non dites mais qui assassinent. Et il (Melvil) a sa personnalité, il n’est pas QUE un acteur. Moi j’aime jouer au théâtre ou au cinéma avec quelqu’un qui dépasse le fait même d’être un acteur. Parce que sinon, curieusement, quand je suis devant quelqu’un qui est trop un acteur, je n’ai plus envie d’être une actrice.
Vous avez l’esprit de contradiction ?
Fanny Ardant : Non, c’est parce que je vois tout d’un coup toutes les ficelles alors que pour jouer moi j’ai besoin d’oublier. J’ai besoin de perdre quelque chose, de perdre les pédales. Alors que si tout est bien millimétré, je me dis : « C’est ça, d’être acteur ? Ce n’est pas intéressant. »
Est-ce que c’est difficile pour vous de quitter un rôle ?
Fanny Ardant : je ne le dirais pas comme ça. Mais j’aurais vécu si intensément ces temps de tournage que quand ils sont finis, je suis si mélancolique que la vraie vie ne m’intéresse plus. C’est comme si… On le sait bien qu’on se dira : on va se revoir, on va dîner… Mais c’est fini. Voilà, c’est fini.
C’est si fort, aussi parce que c’est éphémère.
Fanny Ardant : Exactement. Et peut-être qu’on se retrouvera. Mais plus jamais dans cette équation-là.
Pour vous, c’est quoi être libre en 2022 ? Parce que ce film, il parle de liberté, en fait.
Fanny Ardant : Je pense qu’être libre c’est faire de moins en moins confiance en la société. La société a toujours été là comme un garde-fou. Mais quand la société s’occupe de ce qui ne la regarde pas et que les citoyens obéissent trop facilement, alors on perd, sans vraiment le comprendre tout de suite, on perd sa liberté. Son libre-arbitre. Sa propre conscience. Je pense qu’il n’y a pas qu’un façon d’être. Il n’y a pas une modernité de l’être humain. L’être humain est une des choses les plus archaïques qui soient.
Depuis le temps des Grecs, on n’a pas changé. La violence, la vengeance, le mépris, vouloir tuer quelqu’un… Donc, curieusement, je pense qu’au sein de notre société, la liberté va être de plus en plus mise en danger. Ça c’est sûr. Parce que souvent on a mis en face de la liberté, la sécurité. Et quand une société cherche plus la sécurité qu’une liberté, c’est que c’est la fin de quelque chose.
Vous n’êtes pas très optimiste quant à la suite ?
Fanny Ardant : Alors, moi, mon optimisme consiste à me dire que c’est la responsabilité de chacun de nous. Plus personne ne peut croire à un parti politique, plus personne ne peut croire à un mouvement de pensée. C’est une question d’être responsable de soi-même. Donc, elle est assez passionnante notre époque. Parce que vous êtes seul, mais vous êtes responsable. Alors qu’avant, il y avait peut-être la force de l’église, la force de ceci ou cela, les dogmes politiques, les grandes idéologies politiques qui empêchaient les hommes de… Tandis que là, il n’y a plus rien ! Il n’y a qu’un jeu dans lequel : « Voulez-vous rentrer ? Ou vous ne voulez pas entrer ? »
LES JEUNES AMANTS
Un film de Carine Tardieu sur une histoire de Solveig Anspach
Avec Fanny Ardant, Melvil Poupaud, Cécile de France, Florence Loiret-Caille
Au cinéma dès le 23 février 2022
©Ex Nihilo – Karé