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Jenna Hasse : L’amour du monde… et des pêcheurs du Léman

Pour son premier long-métrage, la réalisatrice Jenna Hasse raconte la langueur estivale sur les bords du Léman dans les yeux d’une ado solitaire.

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Entièrement tourné à Aubonne et environs, le film de Jenna Hasse L’Amour du monde met en scène et sublime le paysage de la Côte : forêt, lac et culture de kiwis au son des cris de hérons. Au milieu de cette nature alanguie en plein été, une adolescente de 15 ans observe silencieusement cet univers, entre un père trop occupé par son couple tout frais et un stage dans un foyer pour enfants. Interview de la réalisatrice, une tasse de thé à la main.

Revenir sur les terres de l’enfance et s’asseoir avec les pêcheurs les plus cinéastes des rives du Léman. La réalisatrice Jenna Hasse mélange devant sa caméra le récit initiatique d’une jeune adolescente, C.F. Ramuz et les figures du terroir romand dans son premier long-métrage L’Amour du monde, librement inspiré du roman du même nom. Un appel à la langueur et une douce critique de la vitesse imposée par notre monde de technologies et de brouhahas. L’amitié d’un pêcheur esseulé, d’une fillette sauvage et d’une adolescente mutique au bord de l’eau. Un été qui ressemble à ceux de notre enfance.

L’AMOUR DU MONDE

Sur les rives du lac Léman, la douce Margaux, 15 ans, rencontre Juliette, une enfant rebelle de 7 ans placée dans un foyer et Joël, un pêcheur récemment rentré d’Indonésie suite au décès de sa mère. Trois âmes solitaires et un peu perdues qui, dans la moiteur fiévreuse des rives  du Lac Léman, se soutiennent mutuellement le temps d’un été. Un port de pêche idyllique devient leur lieu de retraite et la nature leur alliée, jusqu’à ce qu’une autre réalité vienne bousculer le trio.

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Langueur et silence pour tout "L’Amour du monde"

Tenant à rendre une forme d’hommage à la rive vaudoise qui a vu passer son adolescence, la réalisatrice Jenna Hasse raconte une parenthèse poétique teintée de pêche et d’amitié dans les grands yeux de Margaux. Avec peu de mots, elle observe le paysage et les êtres, mouvant son corps et ses émois avec la nonchalance de ses 15 ans.

Le silence rend l’amitié probable et possible entre elle, Joël et Juliette, trois âmes disparates un peu perdues, solitaires, qui se percutent lors d’un sauvetage. Se sauvent-ils mutuellement par leur présence ? Peut-être. En créant des liens entre eux, même sans se le dire, au cœur d’une nature accueillante, étrange parfois, paisible, estivale. Ou quand un kiwi sauvage peut rapprocher les êtres en jouant de son jus sucré et gorgé de soleil.

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Vieilles âmes pour jeunes actrices

Comment la réalisatrice Jenna Hasse choisit-elle ses jeunes actrices si singulières, si cinématographiques ? Quelqu’un lui dira que ce sont de vieilles âmes. Une impression perspicace qui traverse l’écran aussi vrai que le regard des deux comédiennes transpercent de leur profondeur. De leur maturité. Une statue grecque calme qui observe le monde et une sauvageonne féline dont les mouvements d’humeur sonnent si juste qu’on se surprend à vouloir se lever de son fauteuil pour la prendre dans ses bras.

Avec une économie d’effets, Jenna Hasse parvient à tenir en haleine par ses images, camaïeu de bleus, qui décrivent un été, pas parfait, mais vivant. Les adultes décevants, les fugues en forêt et les conversations pittoresques des pêcheurs, la jeune Margaux aura abandonné son téléphone portable sur un message à ses copines : « Je suis au paradis ». Aubonne totalement désertée comme décor fantôme oppressant laisse ses portes s’ouvrir vers ses paysages alentours et l’imaginaire d’une toute jeune femme qui traverse le film avec grâce.

Un thé avec la réalisatrice Jenna Hasse

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La réalisatrice Jenna Hasse recevant la Mention spéciale du Jury International Génération KPlus – Berlinale 2023

Bonjour Jenna Hasse ! Beinvenue dans la JJSphere ! Pour commencer, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur vous ? Vous avez carte blanche…

Jenna Hasse : Je suis née à Lisbonne, au bord de l’océan, en 1989. Après 4 ans au Portugal d’où vient mon papa, ma famille est venue s’installer à Saint-Cergues, le village de ma maman, à 1000m d’altitude au-dessus de Nyon. Ça raconte les grands opposés qui me traversent : des catholiques, des protestants, l’océan, la montagne… Je pense que c’est ce qui me constitue et qui est à la fois beau et bizarre.

J’ai grandi à Rolle et puis je suis partie faire des études d’actrice à Bruxelles, à l’INSAS, avant d’aller vivre à Paris. En 2021, je suis revenue en Suisse et je vis à Lausanne. C’est ce film, L’Amour du monde, qui m’a ramenée au bord du lac. Pour finaliser son financement et préparer le tournage, je devais être sur les lieux. Le COVID a aussi contribué à mon retour. Je pensais ne jamais revenir mais j’en suis très contente.

C’est un pays dans lequel j’ai décidé de poser mes valises, comme un port. J’ai fait beaucoup de rencontres à l’étranger, j’y ai gardé des liens, alors la Suisse est une bonne base. Elle pourrait soutenir un peu plus ses artistes, le niveau de vie est plutôt élevé donc on doit s’arranger. J’ai des amis ici et j’avoue que le lac, ce lac, me tient, m’ancre. Ici j’arrive à travailler.

Quand on voit votre film, qui est comme une ode à la contemplation et à la langueur, on se pose la question si notre société connectée et qui force à une vitesse soutenue, n’a pas abîmé, égratigné, la mollesse adolescente. Est-ce que vous avez eu envie de la retrouver ?

Jenna Hasse : C’est vrai qu’il y a un téléphone au début du film avec Margaux qui envoie un message à sa copine avant de raccrocher mais qu’il n’y en a plus ensuite. Ça m’arrangeait bien. Je crois que c’est une réponse au roman de Ramuz qui était mon inspiration et qui parle de l’arrivée du cinéma en 1920. De la montée en puissance de la société dans laquelle on est aujourd’hui, c’est-à-dire le progrès des technologies. Lui raconte la naissance du cinéma qu’il a vécue et aujourd’hui on a des images partout.

Clarisse Moussa dans le film de Jenna Hasse L'Amour du monde

On est arrivé à un point extrême et je crois que lui déjà dans son roman faisait une critique assez précise de la modernité. D’une certaine manière, je lui réponds 100 ans après. Sans être naïve et montrer une vie sans technologie, je n’y crois pas du tout, nous vivons avec ces outils. Par contre, de les maîtriser et d’avoir des moments de pause. Ou de faire comme Joël (le personnage de L’Amour du monde interprété par Marc Ooste­rhoff) qui retrouve du sens en faisant un métier proche de l’artisanat. Ça permet de se reconnecter à son corps et à un rythme plus lent. Ce qu’on ressent aussi dans le roman de Ramuz.

Comment s’est passée votre rencontre avec Ramuz, avec cet auteur qui vous a inspiré ce film ?

Jenna Hasse : J’ai lu le roman L’Amour du monde de Charles Ferdinand Ramuz (Plon, 1925) pour la première fois quand j’étais au Gymnase (Lycée) à 16-17 ans et j’avais adoré parce que ça parlait de cinéma, ce qui me plaisait déjà beaucoup à l’époque. Puis, je l’ai relu une dizaine de fois après avoir réalisé mon premier court-métrage En Août – j’habitais Paris à ce moment-là – en me disant que je voulais absolument l’adapter.

J’ai commencé par vouloir l’adapter fidèlement en faisant un film qui raconte l’arrivée du cinéma au début du XXème siècle. Et en allant dans les décors véritables, dans le Lavaux où Ramuz place son histoire, en me baladant et en me confrontant au réel, je me suis rendue compte que je ne voulais pas du tout faire un film d’époque. Il fallait que je réalise un film contemporain et que je le déplace dans les territoires de mon adolescence (Rolle, Perroy) tout en gardant les thématiques de Ramuz, comme l’imaginaire qui contamine le réel ou le besoin de quitter ce petit monde fermé, en vrai comme mentalement. C’est donc une inspiration plus qu’une adaptation.

Ramuz m’a toujours inspirée, mais je ne suis pas la seule. Dans les années 70, il a été adapté par des cinéastes de la Nouvelle vague , notamment Michel Soutter qui a réalisé Adam et Eve à Allaman (1984). Ramuz a un lien évident avec le cinéma comme la région dans laquelle se situe mon film. C’étaient aussi les terres de Godard qui habitait à Rolle. Alors ça fait marrer les pêcheurs du coin qui connaissent tous ces cinéastes.

Je crois qu’en étant dans ces endroits que je fréquentais ado comme ces liens avec l’histoire du cinéma, ça a créé des échos un peu magiques.

lac Léman Allaman Aubonne La Côte canton de Vaud film de Jenna Hasse pêcheurs

Vous avez effectivement réalisé une forme d’hommage à cet endroit, à ses habitants, à ses accents que vous n’avez pas gommés

Jenna Hasse : Non, je ne les ai pas gommés, c’était une volonté. Même pour le personnage de Joël, je ne voulais pas un acteur français qui n’aurait pas eu l’accent romand. Parce que ça aurait été trahir la magnifique rencontre que j’ai eue avec ces pêcheurs, qui a aussi inspiré le film, puisque je travaille souvent sur une base documentaire qui nourrit ensuite la fiction. Joël est joué par Marc Ooste­rhoff – qui n’est pas d’Allaman mais d’Yverdon –qui a donc aussi un petit accent. Quelqu’un qui aurait eu un accent français hyper citadin, je n’y aurait pas cru.

Marc Ooster-Rhoff dans L'Amour du Monde pêcheur Lac Léman Suisse

Entre votre court-métrage « En Août » et ce film, on est plongé dans une saison. Qu’est-ce que vous aimez filmer en été ?

Jenna Hasse : C’est vrai que l’été est dans tous mes films jusqu’à présent. En fait, c’est tellement compliqué de faire des films, autant les faire en été (Rires) ! Non. Je crois que l’été c’est lié à l’enfance. Et comme j’ai réalisé des histoires liées à l’enfance et à l’adolescence… J’aime l’été parce qu’en apparence, tout va bien, tout est beau, tout est agréable. Mais en fait, sous cette chaleur, il y a des choses qui ne tournent pas complètement rond. Dans mes scènes, on ne va jamais droit au conflit, tout se concentre hors champ. Je ne sais pas pourquoi mais l’été me permet ça.
Aussi, ce sont des films de transformation, de personnages qui changent de peau et passent d’un état à un autre alors c’est important pour moi qu’on voie leur corps, dans l’eau.

J’ai passé tous mes étés au Portugal en famille et ça doit me les rappeler. C’est difficile de savoir pourquoi je tourne l’été…

Et puis il y a la nature ! Elle serait certainement moins accueillante en hiver.

Jenna Hasse : Les étés peuvent être très secs, mais sinon la nature est foisonnante. J’ai l’impression que je ne pourrais pas raconter les histoires de la même manière en hiver. Les personnages se confronteraient plus à la dureté et aux dangers du paysage. Se balader dans une forêt en hiver, avec plein de neige…

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Dans la langueur de l’été, Margaux, votre personnage principal, traverse son village vidé de ses habitants, dans une forme de solitude pesante et elle découvre le cinéma qui projette un vieux film muet…

Jenna Hasse : Quand j’ai écrit le scénario, je me suis longuement posé la question si je devais mettre au programme (du cinéma Rex d’Aubonne qui accueille Margaux) un film de découverte du désir plus contemporain. Qu’une jeune fille de son âge aurait aimé voir. Mais j’ai volontairement dévié en me disant que je voulais la mettre face à une forme étrange. Face aux débuts du cinéma.

Parce que quand, moi, à 20 ans, j’ai fait un an d’études de cinéma à l’université de Lausanne, j’ai fait la découverte de ces premières œuvres avec Freddy Buache, (Directeur de la Cinémathèque Suisse de 1951 à 1996) ça a été un choc. J’étais un peu plus âgée, mais peu importe, j’avais envie de confronter mon personnage à une esthétique différente, au muet et à des corps expressifs. Alors j’ai un peu quitté le réalisme, la vraisemblance, c’est sûr. Cela-dit, à l’âge de Margaux, j’adorais Chaplin.

Esin Demircan dans le film L'amour du monde de Jenna Hasse interview réalisatrice suisse premier film Berlinale

En parlant de Margaux, il s’agit de votre héroïne, incarnée par Clarisse Moussa que vous aviez découverte plus jeune pour votre court-métrage. Elle est accompagnée ici d’Esin Demircan, époustouflante petite demoiselle, là aussi une découverte. Comment faites-vous pour déceler le potentiel d’actrices aussi jeunes ?

Jenna Hasse : Ce sont un peu des chocs de rencontres. Je fais confiance à mon instinct et ce n’est pas calculé. Ça se fait assez rapidement, au premier coup d’œil, au premier échange de regards. Je pense que Clarisse et Esin sont des jeunes filles assez avancées pour leur âge. Il y a une forme d’intelligence dans leur regard, comme si elles avaient déjà vu beaucoup de choses dans leur vie.

Si la rencontre avec Clarisse résultait d’amis interposés, c’est grâce à Minna Prader, directrice de casting, qui a vu beaucoup d’enfants que j’ai fait la connaissance d’Esin. Je l’ai d’abord vue en vidéo et c’était ses yeux ! Très vite, j’ai vu que potentiellement ça pouvait être elle, tout en me laissant le bénéfice du doute. Elle n’a peur de rien, elle n’est pas impressionnée par les adultes, elle dit ce qu’elle pense et puis elle a une énergie combattive que je cherchais pour ce personnage. Elle fait moins de sport aujourd’hui, mais elle faisait de la gymnastique à un niveau assez élevé quand je l’ai rencontrée, ce qui la rendait très compétitive. À six ans et demi, elle battait tous les garçons de 11 ans aux jeux dans la forêt sur le tournage. Elle me faisait un peu penser à moi petite et à ma sœur, un mélange.

Clarisse Moussa dans le film de Jenna Hasse L'Amour du monde suisse adolescente

Et vous avez à nouveau choisi Clarisse qui a grandi depuis votre court-métrage tout en développant un profil atypique, esthétiquement singulier.

Jenna Hasse : Elle a le visage d’un tableau de la Renaissance. Et c’est rigolo parce que quand j’ai écrit L’Amour du monde, j’imaginais plus un personnage de 16 ans. Alors j’ai commencé à voir des filles de cet âge-là, mais je me suis rendue compte qu’elles avaient déjà un rapport clair à leur intimité, voire une vie sexuelle déjà active, ce qui ne me convenait pas. Je ne voulais pas d’histoire d’amour entre Margaux et Joël, qu’on retombe dans ce schéma.

Et j’ai revu Clarisse qui était vraiment dans cette époque charnière, à la fois très mûre pour son âge et baignée dans l’enfance. Pas encore dans un rapport de séduction avec les hommes. C’était ça que je voulais. Qu’elle fantasme sans avoir la capacité de maîtriser son corps. Ça devait rester un sorte d’amour à sens unique, pas consommé. La première fois qu’il se passe quelque chose dans son corps et que, quand elle voit Joël, elle ne comprend pas ce qu’il se passe. C’est une forme de récit d’apprentissage, où elle se raconte des histoires dans sa tête. Elle vivra un grand amour, mais après le film.

Margaux et Joël Clarisse Moussa et Marc Ooste-Rhoff dans le film de Jenna Hasse interview

Qu’est-ce que vous aimeriez que votre film, L’Amour du monde, déclenche chez les spectateurs ?

Jenna Hasse : Une envie de retourner à la poésie, à la contemplation. Et puis une conscience que les liens, c’est important. Qu’on peut créer des liens en dehors de la famille, que ce n’est pas grave si la famille ne fonctionne pas. Même avec des familles brisées, on peut rêver et on peut grandir. Papa-Maman est peut-être un modèle qui ne marche plus bien et c’est pas grave. On va rencontrer d’autres gens, même s’ils passent aussi, que c’est peut-être éphémère.

J’ai aussi clairement quelque chose avec les éléments naturels. La forêt, l’eau, les animaux. Que ce film permette de se reconnecter, avec les humains, avec la nature. Prendre le temps de regarder, sans trop parler. Il n’y a pas toujours besoin de parler.

Qu’il fasse du bien.

culture film L'amour du monde de Jenna Hasse interview réalisatrice suisse premier film Berlinale Génération affiche

L’AMOUR DU MONDE

Un film de Jenna Hasse avec Clarisse Moussa, Esin Demircan, Marc Ooste­rhoff, Mélanie Doutey, Filipe Vargas

Au cinéma dès le 5 avril 2023

 

©Vinca Film

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