Il ne vous est jamais arrivé, pendant un concert, de relier une odeur aux artistes que vous étiez en train de regarder, d’écouter ? Josiane est ainsi persuadée que le chanteur de Placebo porte un parfum androgyne d’un autre temps, genre CKOne… Instinctivement, ce que perçoivent nos sens sont intimement liés, mariés pour la vie, ou jusqu’au prochain coup de foudre. Comment alors créer ces conditions ? Comment marier une expériences sensorielle et émotionnelle ? En créant simultanément une partition et sa fragrance. Pour peu que l’on se prête au jeu dans sa globalité, c’est le voyage proposé par L’Orchestre Parfum. Des flacons, des jus, des morceaux musicaux originaux. Insolite et intrigant.
Nous commençons par enclencher la musique. Les premières notes s’élèvent et peignent le décor, dévoilent l’atmosphère. Sommes-nous en Espagne, en Afrique, dans une contrée d’Orient, enveloppée par des fumées chargées d’épices ? C’est ainsi que l’odorat entre dans la danse. Un pschit qui donne une autre dimension à la partition, de la profondeur, de la vie à l’histoire. Si on ferme les yeux, on s’imagine les détails, les tissus, le bois, les tapis, les gens qui se meuvent, qui dansent.
Les pistes ont en commun un rythme charnel, le tempo de la séduction. On devine des yeux charbonneux, des coussins de soie, un porte-cigarette, un pot pourri sur une coiffeuse, des fruits exotiques défendus, quelques bonbons perdus dans un verger, les relents de la rosée matinale après une longue nuit d’ivresse.
L’Orchestre Parfum, odeurs et musique
Quelle belle idée ! Écouter et sentir. Il est évident qu’une fois la fragrance adoptée, le disque ne sera pas lancé à chaque vaporisation. Néanmoins, le souvenir des émotions convoquées par la composition reviennent. Comme dans un rêve. Un rêve qui est devenu réalité.
Nous devons cette expérience inédite à un passionné. De sons et d’odeurs, évidemment. Pierre Guguen, parfumeur et musicien, qui dans son atelier hétéroclite crée des dialogues en harmonie entre ses deux amours. Il respire sous les âmes d’instruments à cordes, entouré de copeaux, de fioles, de crins échappés d’archets, le tout entremêlés sur un établi sans âge.
Les musiciens qui donnent corps aux jus
Pour ce projet, Pierre s’est entouré de musiciens virtuoses, chacun porteur d’une ambiance, d’une provenance, d’un son singulier. La guitare flamenca de Mathias Berchadsky, le trombone chaleureux de Nicolas Benedetti, le piano mélancolique d’Edouard Ferlet, les percussions sauvages de Nicolas Leroy, la kora de Cheikh Diallo ou encore le koto de Fumie Hihara. Un instrument et une senteur de tête, six jus nés de ces dialogues inédits : Rose Trombone, Piano Santal, Flamenco Néroli, Cuir Kora, Thé Darbouka et Encens Asakusa.
Depuis cet été, les parfums nés dans l’atelier de Pierre Guguen ont été rejoints par deux nouveaux voyages. Un duo éthilique entre fraîcheur citronnée et trouble capiteux, fin de nuit sur les hauteurs espagnoles de Barcelone. Les oreilles bourdonnent encore un peu, le coeur bat aux rythme de la techno. En studio, le nez Pierre-Constantin Guéros s’est laissé emporter par la transe répétitive, le souffle érotique du DJ Popof avec Animal & Me pour un résultat addictif, Bouquet Encore.
De son côté, la parfumeuse prodige Nathalie Feisthauer lance un vent de fraîcheur désaltérant pour un cocktail face au soleil couchant, after work lounge sur l’électro enivrante de NIID : Electro Limonade, le starter aux acidités sucrées d’une soirée sans fin.
Au commencement, il y a le parfum
Les origines de ces créations sont magiques et floues. Quelle est l’odeur de la musique, de l’instrument qui la raconte ? Quel est le son d’une odeur ? Quelles sont les voix du musc, de la tubéreuse, du cédrat ? Mutuellement, musique et parfums se répondent et s’enrichissent.
Pierre est allé récolter des fragrances auprès de luthiers, d’artisans du cuivre, renifler des cuirs, des peaux, pour les associer ensuite aux fleurs les plus délicates, aux encens les plus subtils, avec le concours de Nez. Enfermées enfin dans des flacons réalisés artisanalement, les créations ont pris vie à Grasse dans un alcool 100% naturel.
Notre trio de tête
Si les composition olfactives de Pierre Guguen sont toutes réussies et se laissent volontiers renifler, Josette a une préférence pour les parfums lourds et capiteux. Josiane quant à elle aime les touches légères et fraîches. Elles ont une odeur en commun et se rejoignent quand la rose tubéreuse laisse dans son sillage une trace si reconnaissable.
Josiane a ainsi opté pour le Flamenco Néroli, quelques tapas dans les ruelles de Séville, quand Josette s’est laissée entraîner par le Piano Santal, lascif et mystérieux. Et puis nous nous retrouvons dans une fête catalane au coeur de l’été pour une nuit techno, le nez épris de Bouquet Encore.
L’idée de nous évader en fin de journée, rien qu’un instant, repartir dans notre imaginaire, nous enchante. Ainsi, nous n’hésiterons pas à dispenser quelques gouttes de ces précieux jus également sur les textiles de notre intérieur. Un voyage immédiat en entrant dans notre salon. Cuir Kora nous semble le plus adapté pour cet usage, avec ses notes épicées. Descente joyeuse d’une rivière en pleine jungle, un rendez-vous en terre inconnue, observés par des oiseaux multicolores. Nous laissons aller nos paupières pour laisser le champ libre aux images que nez et oreilles nous suggèrent. C’est parti…
La répétition de L’Orchestre Parfum
Pour se faire une idée, parce qu’il est assez mal aisé de choisir un parfum sans avoir mis son nez dessus. Et puis pour tenter l’expérience, en fermant les yeux, de l’inspiration et du voyage mélodique. Il existe un petit étui, un premier jet, une répétition de l’orchestre avant le grand soir. Dedans, un échantillon des 6 premiers parfums créés.
Alors, ne nous arrêtons pas là. Les moments que nous avons vécus, prenant le temps de nous immerger dans les propositions sensorielles de Pierre Guguen, valent la peine d’être reproduits. Essayez de trouver la musique qui se marie le mieux au parfum que vous portez habituellement, de lui donner une couleur, un paysage.
Quand on entre, à contre-coeur, mais inévitablement les deux pieds joints dans l’automne et l’hiver, ce petit exercice est peut-être le moyen de s’envoler loin, au chaud, en bord de mer éventuellement, sans plomber notre bilan carbone 2020. Et sans avoir besoin de faire de quarantaine.
Photos : © L’Orchestre Parfum