Il était une fois La Girafe. La Girafe est passionnée, elle a un coeur de 11 kilos. Vous le saviez ? La Girafe rencontre Petit Brun lors d’un bal masqué. Entre plumes et crinolines, ils s’enlacent, s’embrassent, se reniflent, se découvrent, s’aiment. À s’en faire mal, ils s’aiment. À saigner, ils s’aiment. Enfin… elle. Elle, jouée par Natacha Koutchoumov, d’une justesse émouvante et sincère dans Un conte cruel au Théâtre de Poche.
Oui, un conte. Avec un ogre et une jeune fille. Qui n’a rien d’une niaise éplorée, rien d’une naïve, rien d’une victime. Elle va s’évaporer pourtant sous les coups, de mains, de poings, de mots, de regards de ce Petit Brun devenu trop grand.
Valérie Poirier offre aux acteurs un texte d’une vérité glaçante. Pas étonnant puisqu’il se base sur des témoignages, des histoires de vie. La Girafe existe bel et bien. Petit Brun aussi. Ils sont joués avec finesse par Natacha Koutchoumov et Mauro Bellucci. Elle aurait pu être lui et vice versa, l’emprise psychologique et physique n’a pas de sexe. Ils sont terriblement sincères, tous les deux. Dans les coups, dans les tremblements, dans la folie désespérée.
Le plateau tourne, spirale, descente aux Enfers. Il est balayé d’un rideau à franges qui glisse sur chaque personnage, comme pour effacer les bleus, essuyer les larmes, faire disparaître la dignité de cette femme qui s’étiole sous nos yeux. Noir. Il l’aime. Noir. Il est une bête sauvage, un loup, un monstre d’arrogance et de manipulation. Noir. Il est. Noir. Elle disparaît. Les séquences s’enchaînent, comme des flashs, comme des gifles. Elle s’en va.
Contrairement à ce que Marie-Pierre Genecand avance dans son article dans Le Temps, nous ne trouvons pas que la pièce aurait avantage à être raccourcie. Au contraire. La mise-en-scène de Martine Pachoud et Philippe Morand nous emprisonne avec les personnages dans cet engrenage qui pèse, plombe les tripes. On ressent le temps qui passe. La venue récurrente des personnages secondaires permet une respiration, un éclat de rire contenu, presque cynique. Le rideau va et vient, encore et encore, ça tourne, on redoute la fin, le dénouement, ou la chute.
Sonnées, nous applaudissons, fort, beaucoup, Josette me regarde. On a les yeux humides, le coeur au bord des lèvres, un peu endolories nous aussi. Ne reste plus qu’à vider la scène, aspirer les planches. En espérant que cette soirée où nous étions témoins d’un conte d’un effroyable réalisme reste dans nos mémoires pour que le mutisme ordinaire et l’indifférence perdent du terrain.
Un conte cruel
de Valérie Poirier
Mise en scène de Martine Pachoud et Philippe Morand
Avec Natacha Koutchoumov et Mauro Bellucci, Pierre Banderet, Christelle Legroux, Kathia Marquis, Anne-Marie Yerly
En coproduction avec La Comédie de Genève et en partenariat avec le FIFDH pour une soirée projection et débat de 11 mars.
Théâtre de Poche
Jusqu’au dimanche 13 mars, horaires ici
Rue du Cheval-Blanc 7, 1204 Genève
Réservations au +41 22 310 37 59 ou billetterie@poche—gve.ch
BON PLAN :
N’hésitez pas à venir au bar du Théâtre au sous-sol, une heure avant et après la représentation. Vous pourrez y féliciter les comédiens…