Oui bon d’accord, c’est un Monsieur, il n’est pas grande, il est grand. Juste grand. Il a l’air grand d’ailleurs, tout en longueur, tout en jambes, en buste. En nuque aussi, il paraît. C’est ça la faille, la nuque. Un signe distinctif anodin, presqu’invisible, assurément absurde. Un signe distinctif qui a fait grandir Gaël Faye trop vite, comme son personnage, Gabriel, Gaby. À quelques petites semaines seulement de la sortie du film adapté de son roman à succès, nous nous replongeons dans le Petit Pays de Gaël Faye avec émotion.
On avait déjà vu son nom. Sur un morceau dans une playlist Coup de coeur, sur une affiche de festival. Et puis on l’a entendu, souvent, quand son premier roman Petit pays a raflé plusieurs prix prestigieux de la rentrée littéraire 2016, quand il a conquis le coeur du public. C’est à nouveau le cas, entre collaborations et nouveau single, Pemmican sorti le 30 juin 2020, il attend (et nous aussi) de voir (enfin) l’adaptation de Petit Pays au cinéma. Il est grand Gaël, on vous le dit !
Un Petit Pays devenu grande histoire sur papier
Petit pays s’est lové sur une table de chevet et à attendu son heure. C’est toujours un peu le cas quand on devine que ça va être bien. Quand il se glissera dans vos mains, préparez-vous à ne plus le lâcher. Il ne vous lâchera pas non plus, ce n’est pas une histoire qu’on remise instantanément dans un tiroir au fond de sa mémoire. Elle reste, comme une odeur lancinante et douce de bougainvillier.
Gaël Faye raconte l’Afrique de son enfance, la vie simple et heureuse de Gabriel. Il n’est n’y blanc, ni noir, ni Tutsi, ni Hutu, il est juste un enfant, il est juste innocent. Au fond de son impasse de la capitale du Burundi où sa famille est réfugiée, mi Français, mi Rwandais, il vit, chaparde, rit. La guerre n’est qu’un mot, c’est loin, c’est chez les autres.
Quand Gaël Faye raconte Gabriel
Son univers ? Gino, Innocent, Pacifique, Eusébie, Prothé, Donatien et les autres. Les amis, les cousins, le vieux colon Belge au Zaïre et maman, tellement belle et élégante. Les querelles de couples, les non-dits et les secrets, les cabarets où les voix libres s’élèvent de l’obscurité, les tracas et la politique ne concernent pas les enfants.
Et puis viendra le crépuscule, celui des Dieux qui les ont abandonnés. La réalité fera taire les perroquets, éclatera les murs protecteurs de l’impasse, gardiens de l’innocence, de l’illusion d’un monde sans différences. Viendra la peur.
Jamais lourd, avec poésie et humour, ce livre décrit une enfance universelle. Ce qui reste, ce qu’on se remémore avec nostalgie et bienveillance. Les sens en éveil, l’odeur des fleurs, la fraîcheur de l’ombre d’un frangipanier, le cri du coq, le bruit des pas sur la terre, les anniversaires en musique, la chasse au crocodile, les refrains de Papa Wemba.
La guerre qui dissout l’enfance
Seul le paysage change. En Afrique ou ailleurs l’allégresse est la même, pour les uns le parfum des mangues mûres, pour les autres les senteurs corsées des pinèdes en été, la couleur du ciel avant la neige. À condition que la politique des grands la laisse s’exprimer et s’épanouir, ne l’étouffe pas dans le berceau, ne remplace pas l’odeur de la brise précédent la pluie par des remugles de charnier en plein soleil.
Gaby, a beau enfouir sa tête dans les pages d’innombrables livres comme autant de machines à voyager hors de son temps, ses yeux verront son quotidien réconfortant se flétrir sous les coups de la haine ethnique et de la barbarie. Il n’est plus un enfant, il est Tutsi et il doit fuir pour rester en vie.
Il est doué Gaël Faye. L’écriture l’a sauvé, dit-il, lui a permis de questionner son identité pour s’en forger une, pour avoir enfin une chaise à lui. Des textes à scander, des poésies, des mots en musique et un roman. Un magnifique roman.
Il existe des livres qui ne laissent pas indifférent. Des livres qu’on dévore en une brève journée. Il y a aussi des auteurs qui charment par leur talent. Et puis des histoires humaines à ne pas oublier. Il existe un petit pays.
Gaël Faye
Petit pays, chez Grasset
Petit Pays, un film de Éric Barbier avec Jean-Paul Rouve
Photo de Une : ©Chris Schwagga