L’abécédaire du féminisme, joyeusement moderne devenu joyeux et décomplexé, de l’auteure Clarence Edgard-Rosa est sorti en livre de poche, chez Pocket. L’occasion de se (re)plonger dans ses pages aussi finement humoristiques que diablement instructives.
J’ai un nouveau livre de chevet de toilettes. Il n’y a pas de faute de frappe, il s’agit réellement d’un chevet qui se trouve au petit coin, lieu discret tout à fait adéquat pour y ranger de gros mots. Or, quand je dis ranger, ce n’est pas tout à fait ça. Il s’agirait plutôt de le mettre bien en évidence, bien en vue, sous la patte de tout passant qui viendrait à s’attarder dans l’intime antre de mon domicile. Sans donner de détails de notre vie privée, nous ne sommes pas de grandes lectrices de pipi room, l’endroit ne faisant pas partie de notre palmarès des meilleurs sièges où il fait bon dévorer des pages. Cela dit, nous ne sommes pas contre une découverte, une curiosité bien sentie, bien écrite, drôle, spirituelle et vite lue. Et j’ai trouvé la perle rare. Depuis quelques semaines, je suis plongée dans Les Gros Mots, Abécédaire du féminisme, joyeux et décomplexé, de Clarence Edgard-Rosa. À chaque séjour, son mot. Simple, concis, instructif.
De l’utilité de parler de féminisme
À l’heure où les manchettes de journaux ne finissent toujours pas de titrer #metoo, et que les affaires de viols, harcèlements, comportements plus que déplacés sont toujours d’actualité. Alors qu’il faut gonfler, dessiner, mentionner des clitoris géants pour que cet organe soit enfin reconnu, dans tous les sens du terme, et sois retiré du dictionnaire des tabous. Faut-il en avoir de la boue dans les yeux et dans les oreilles pour croire que tout va bien en termes d’égalité ! À gauche, à droite, au centre, en Europe ou ailleurs, le sujet est clivant. Entre hommes et femmes, entre femmes et femmes. C’est dire s’il n’est pas clair.
Clarence Edgard-Rosa – également auteure du livre d’auto-exploration Connais-toi toi-même et fondatrice de la Revue des Regards féminins GAZE – prend le parti de nous donner du factuel. Orienté, évidemment un peu, mais avec finesse, avec tact. De manière étayée et légère, sans oublier l’humour de l’absurde, triste parfois, qui parsème ses pages, elle commet l’abécédaire nécessaire d’une situation qui perdure. Aux textes impertinents, s’ajoutent les illustrations de Lucie Birant, superpositions d’éléments anachroniques qui se rencontrent pour former un tableau étrange et esthétique. Des lettres qui sourient, qui crient, qui caressent, qui consomme, qui assomment.
Connaît-on tous les gros mots de l’abécédaire du féminisme ?
Les Gros Mots sont sortis du placard depuis bientôt 5 ans, déjà, mais n’ont pas pris une ride. Cette ré-édition en livre de poche est l’occasion idéale de retenir quelques définitions supplémentaires. De description en description, on se conforte, on se réconforte et on réapprend à quel point le féminisme est un état d’esprit essentiel. Or, il n’est pas d’une évidence crasse selon les individus, quel que soit leur bord.
Parce qu’on s’embourbe dès la naissance dans des pré-requis et des schémas, à notre cerveau défendant peut-être, qui confortent le pacha patriarche dans son fauteuil. Indétrônable. Une des découvertes majeures de ces lectures brèves mais concrètes, se trouve à la lettre H. H comme hymen. Hymen qui, au premier rapport sexuel (ou lors d’autres occasions du genre sportif, ou pas) se détend. Oui, Mesdames et Messieurs ! Ne se déchire pas, ne craque pas, ne s’arrache pas, mais se détend !
Comme nous l’aurions toutes été si le bon mot avait été prononcé dès le départ ! N’ayez donc pas peur des mots et divulguez le bon. Pères et mères de jeunes-filles en fleur, demoiselles aux amies attentives, faites taire les déchirures douloureuses et crispantes. C’est fou quand même, ce pouvoir du vocabulaire. Les mots, gros ou petits, ont leur poids, leur symbole, leur histoire. Amen pour l’hymen.
Joyeux et décomplexé
Ce rafraîchissement des mémoires qui replace l’église au milieu du village patriarcal fait un bien fou. La révolution prend naissance parfois dans les lieux les plus improbables, l’éducation décomplexée aussi. Va aux toilettes ma fille, restes-y un moment mon fils, invités qui passez ma porte, soyez curieux, soyez critiques, soyez féministes. N’ayez pas peur des (gros) mots. Ce livre ne quittera plus mes toilettes.
Et n’oublions surtout pas que c’est la gente masculine qui a tendance à rester des plombes sur le trône. Il est d’utilité publique de leur glisser dans les mains de saines lectures, vous ne pensez pas ? Parce qu’il serait dommage de ne laisser qu’à la télévision le soin d’accaparer notre temps de cerveau disponible. Et arrêtons d’interdire à nos enfants de dire des gros mots. Lâchez-vous ! Des gros mots, oui, mais pas n’importe lesquels…
LES GROS MOTS – ABÉCÉDAIRE JOYEUX ET DÉCOMPLEXÉ DU FÉMINISME
Un livre de Clarence Edgard-Rosa, Hugo Document 2016 | Pocket 2021
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