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Haifaa Al-Mansour interview The Perfect Candidate film

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INTERVIEW CINÉ Qui est The Perfect Candidate ?

À l'occasion de la sortie au cinéma du film 'The Perfect Candidate', nous avons rencontré sa réalisatrice Haifaa Al-Mansour.

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Et si The Perfect Candidate aux municipales d’une petite ville d’Arabie Saoudite était une femme ? Sortie du deuxième film de la réalisatrice Haifaa Al-Mansour après Wadjda, nous en avons profité pour lui poser quelques questions. Interview.

Comment se déroule une campagne électorale locale en Arabie Saoudite ? Et si le candidat est une femme ? The Perfect Candidate, deuxième film de la réalisatrice saoudienne Haifaa Al-Mansour,  bouscule les évidences et éveille les consciences. Attirant le regard, notamment des Occidentaux que nous sommes, sur un pays dont les moeurs rétrogrades frémissent, laissant s’ouvrir quelques brèches dans lesquelles les femmes peuvent se glisser.

Maryam est médecin. Et c’est une femme. Voilée, ne laissant paraître que ses yeux, elle pratique son métier dans l’hôpital d’une petite ville d’Arabie Saoudite où les infrastructures ne sont pas à la hauteur des besoins. Sur le point de s’envoler pour Riyad, elle est retenue à l’aéroport, son autorisation de voyager arrivée à expiration. Par un concours de circonstances, elle est amenée à se présenter aux élections municipales de sa ville. Son cheval de bataille : faire en sorte que la route qui mène à l’hôpital soit goudronnée et permettre ainsi à la population d’accéder aux soins en temps et en heure sans s’embourber.

Devenir une femme politique en Arabie Saoudite

 

Entre modernité et traditions séculaires, Maryam et ses deux soeurs participent, chacune à leur manière, à l’avancée des droits et des opportunités pour les femmes saoudiennes. YouTube et téléphones portables flirtent avec la peur du qu’en dira-t-on, les insultes et la défiance des Messieurs. Le patriarcat mène le bal et dicte sa loi en restreignant les ambitions des femmes, fantômes sombres et anonymes sous le soleil.

Comment alors se lancer dans une démarche politique, publique, exposer ses idées tout en restant dissimulée sous un voile, sans avoir de parole qui soit prise au sérieux ? La politique reste une histoire d’homme. Vraiment ? Les générations se succèdent, peut-être pour évoluer vers une société plus paritaire.

La sortie du film The Perfect Candidate qui, tout en traitant d’un sujet essentiel ne manque pas d’offrir de beaux instants d’humour. parallèle entre la fille et le père, veuf et artiste, musicien, dont le métier le classe parmi les saltimbanques à la marge des gens pris au sérieux. Les belles images d’un trio de soeurs aux yeux de biche dissimulant esprits bien trempés. La finesse du traitement, les situations révoltantes abordées avec sensibilité et une certaine forme de légèreté.

Une liste non exhaustive des qualités de ce film, arguments indéniables pour un entretien avec la réalisatrice saoudienne solaire Haifaa Al-Mansour. Interview.

JJSphere : Bonjour Haifaa. Pouvons-nous vous demander de vous présenter ?

 

Haifaa Al-Mansour : Mon nom est Haifaa Al-Mansour. Je suis une réalisatrice saoudienne. Mon premier film s’appelait Wadjda et désormais il y a aussi The Perfect Candidate.

 

JJSphere : Votre film The Perfect Candidate sort sur les écrans. Quel est selon vous un candidat parfait ?

 

Haifaa Al-Mansour : Dans un sens, Maryam, la protagoniste du film n’est pas une candidate parfaite. Elle n’a jamais fait de politique, elle ne connaît rien aux lobbies, elle ne réalise pas ce que ça implique d’être une personnalité publique. C’est une toute nouvelle expérience pour elle. Mais ce qu’elle a, au fond, c’est le coeur, la passion. Et c’est ce que nous avons vraiment besoin de voir, et pas seulement en Arabie Saoudite : des gens qui ont coeur et passion, qui s’impliquent pour améliorer la société.

 

JJSphere : La première image de votre film se situe dans une voiture, votre personnage principal, une femme, au volant. Est-ce pour illustrer ce qui a été accompli ou ce qui reste encore à conquérir dans votre pays d’origine ?

 

Haifaa Al-Mansour : Toutes les femmes peuvent aujourd’hui conduire en Arabie Saoudite. Pour moi, c’était une image très forte de voir toutes ces femmes complètement voilées au volant d’une voiture. Le fait de conduire pour les femmes est évidemment un symbole de mobilité mais beaucoup d’entre elles continuent de se couvrir complètement, même le visage, et se coupent ainsi de la société.

Il n’y a pas que la loi qui autorise ou non de se comporter de telle ou telle manière, ce sont aussi les injonctions personnelles. Même quand la loi finit pas autoriser certaines pratiques, on ne se libère pas soi-même.

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JJSphere : Avez-vous eu l’impression qu’en tant que femme, réalisatrice, en Arabie Saoudite, vous avez dû partir pour avoir l’opportunité de réussir ?

 

Haifaa Al-Mansour : Pas vraiment. Mon premier film est mon plus grand succès à ce jour et je l’ai réalisé en Arabie Saoudite, où réside encore ma famille. Je crois que l’ambivalence fait partie de ma vie.

Je me suis mariée avec un américain, sa famille vit en Californie et nous habitons tout près de chez ses parents (ce qui était très pratique quand nous avons emménagé ici, pour les babysittings et amuser les enfants…). Et c’est fantastique de travailler à Hollywood. Aujourd’hui il y a de plus en plus de femmes merveilleuses, dont des femmes de couleurs, ça me réjouit beaucoup.

En Arabie Saoudite, l’industrie du cinéma est très restreinte mais je pense qu’elle a de l’avenir. Les gens ont envie d’entendre le point de vue et les histoires des réalisateurs du Moyen-Orient. En définitive, ce n’est pas vraiment que j’aie dû partir pour réussir, c’est la vie qui a décidé pour moi.

 

JJSphere : Et avez-vous senti que c’était important de revenir à un moment donné ?

 

Haifaa Al-Mansour : Non pas vraiment. Je suis toujours revenue, j’ai toujours fait des allers-retours entre l’Arabie-Saoudite et les États-Unis. Ma mère et toute ma famille sont toujours là-bas. Je n’aurais pas envie que mes enfants vivent en Arabie-Saoudite, grandissent là-bas. C’est important qu’ils voyagent et découvrent le monde, mais tout en restant connectés à leur héritage, leurs racines.

 

JJSphere : Vos parents étaient-ils impliqués dans la poursuite de vos ambitions et de votre carrière ?

 

Haifaa Al-Mansour : Ils m’ont encouragé à suivre mes rêves… mais pas vraiment à devenir une réalisatrice. Je viens d’une famille de classe moyenne très solide, ma mère voulait que je sois médecin ou ingénieure. Nous étions 12 frères et soeurs et elle a fait en sorte qu’il y ait 4 médecins parmi nous. Une réussite !

Mon père était poète. Ils savaient que les professions artistiques étaient des voies difficiles pour gagner sa vie, qu’il faut se battre pour faire entendre sa voix – notamment quand j’ai commencé à faire des films – donc ils étaient inquiets pour moi. Mais ils ne m’ont jamais dit que c’était impossible.

Quand j’ai commencé à passer à la télévision, ma famille plus éloignée qui est très conservatrice était nerveuse, énervée, s’en prenait à mon père. Il m’a soutenue et ne les a jamais laissés m’arrêter. Pour ça, je leur en suis très reconnaissante.

The Perfect Candidate film Mila Alzahrani

JJSphere : Pensez-vous que l’histoire de Maryam se serait passée de la même manière si elle était issue d’une famille plus traditionnelle, plus masculine, d’un milieu moins artistique ?

 

Haifaa Al-Mansour : Je pense que c’est très important qu’il y ait ce genre de type de famille en Arabie Saoudite. C’est ma famille, c’est la famille de plein d’autres personnes et nous devons mettre en valeur ces images.

Nous associons toujours le Moyen-Orient au pouvoir, à la force, à la restriction des libertés des femmes et je pense que c’est important de s’éloigner de cette représentation unique. Dans un sens, je tente de changer la situation quand je mets en scène un père qui n’a pas honte de supporter ses filles et dont le seul rêve est d’être un musicien.

 

JJSphere : Est-ce possible d’avoir d’être une femme qui a de l’ambition aujourd’hui en Arabie Saoudite ? De grandes ambitions publiques comme c’est le cas pour le personnage principal de votre film The Perfect Candidate.

 

Haifaa Al-Mansour : L’Arabie Saoudite reste très conservatrice. Il faut faire son chemin malgré les traditions, faire entendre sa voix, persévérer. Néanmoins, je pense qu’il y a beaucoup d’opportunités pour les femmes. Il est important de comprendre que les changements auront lieu graduellement. Il est illusoire de penser qu’un beau matin tout le monde se réveille progressiste et libéral. Ça ne se passe pas comme ça. Alors il faut qu’il y ait des arts, des livres, de la musique, parce que ça fait évoluer les gens, ça leur donne une prospective sur leur personnalité.

 

JJSphere : Est-ce que l’école enseigne aux élèves à ouvrir leur esprit à d’autres cultures, d’autres façons de penser, à l’art, à l’égalité entre hommes et femmes, etc. ? Avez-vous foi en la prochaine génération ?

 

Haifaa Al-Mansour : Absolument ! Le système scolaire en Arabie Saoudite a été tellement longtemps sous le joug des traditions et de l’Islam qu’il est maintenant un peu brisé. Cependant, il se relève lentement mais surement en introduisant des changements, des échanges avec les autres pays du monde, notamment à l’université. L’éducation influence assurément de manière directe la vie des gens, leur ouvre l’esprit.

Ainsi, les nouvelles générations ne veulent plus d’un retour en arrière, ne veulent plus de mariages arrangés, ont envie de voyager, etc. Les femmes veulent travailler, avoir une vie moderne. À travers l’éducation d’énormes changements sont en cours

 
Perfect Candidate campagne électorale Arabie Saoudite

JJSphere : Vous voyagiez beaucoup avec votre famille ?

 

Haifaa Al Mansour : Je viens d’une petite ville et nous voyagions plutôt dans les pays voisins comme le Koweit ou Dubaï. Nous sommes partis vers l’ouest quand nous avons pu économiser un peu d’argent, rendre visite à un frère qui étudiait en France.

Mes parents ne parlent même pas anglais, ils viennent d’une toute petite ville mais sont pourtant très ouverts d’esprit, très encourageants. Mon père tenait absolument à avoir 12 enfants pour entrer en compétition avec son frère qui en avait 13 ! C’est vraiment une belle personne.

 

JJSphere : Et vous, combien d’enfants avez-vous ?

 

Haifaa Al-Mansour : Seulement 2 ! Toute ma famille a honte de moi… Ce n’est pas une réussite ! (rires)

 

JJSphere : Pensez-vous que les réseaux sociaux sont (encore) un outil d’émancipation pour les femmes de nos jours ?

 

Haifaa Al-Mansour : Je pense que c’est une très grande source de liberté, particulièrement en Arabie Saoudite. L’actrice qui joue la seconde soeur de Maryam est une instagrameuse. Elle se connecte et publie du contenu ce qui est une évolution significative pour une femme saoudienne qui est en général cachée sous des tonnes de tissu. C’est pour ça que je l’ai choisie. Elle a cette spontanéité, cet appétit, qui sont vraiment rafraîchissants.

Et vous ne trouverez personne de ma génération ou des précédentes qui s’exprime de cette manière, qui interagit ainsi avec le monde. Ce qui concerne aussi les relations amoureuses. Et cette nouvelle dynamique est un facteur de changements au sein de la société actuelle. Et je trouve cela très positif. Il n’y a pas de ségrégation dans cet espace virtuel, ils peuvent parler, ce qui est très sain pour les saoudiens.

 

JJSphere : Est-ce que le gouvernement dresse des règles et des barrières sur les réseaux ? Est-ce totalement libre ou est-ce un espace surveillé ?

 

Haifaa Al-Mansour : Il y a beaucoup de contrôle sur les sites pornos ou de ce genre, mais ce n’est pas uniquement le cas en Arabie Saoudite, ça concerne aussi l’Égypte, Oman ou la Turquie, cette partie du monde de manière générale fonctionne sur la base de nombreuses règles morales. Tu peux faire ça, tu ne peux pas faire ci. C’est le cas du Moyen-Orient en général pas uniquement l’Arabie Saoudite.

soeurs perfect candidate film

JJSphere : En tant que femme réalisatrice, ressentez-vous une forme de pression ou de responsabilité envers les femmes de votre pays ou pas nécessairement ?

 

Haifaa Al-Mansour : Je ne dirais pas que je ressens de la pression. En revanche, je suis excitée quand je lis un scénario qui raconte l’histoire d’un fantastique personnage féminin. J’aime aussi travailler avec les actrices. La relation entre une réalisatrice et ses actrices est particulière, très émotionnelle. La plupart du temps, les actrices sont dirigées par des hommes et ce n’est jamais la même dynamique qu’avec une réalisatrice femme. C’est tellement plus intime, plus transparent.

Mon secteur préféré sur un tournage, c’est le maquillage et les costumes parce qu’il est majoritairement tenu par des femmes. C’est détendu, il y a des ragots, elles savent tout ce qu’il se passe sur le plateau. C’est accueillant, quand j’y vais je me sens comme chez moi ! Il y a une connexion qui se fait. Avec les hommes c’est brut (elle grogne). Oh mon Dieu, je n’ai pas envie d’être là ! (rires) Donc oui, j’aime raconter des histoires de femmes fortes.

 

JJSphere : Choisissez-vous alors les thèmes que vous souhaitez aborder dans vos films en fonction justement des sujets à aborder pour transmettre un message, pour appuyer l’émancipation des femmes ? Est-ce le chemin que vous vous êtes créé ou vous autoriseriez-vous à imaginer des histoires moins engagées ?

 

Haifaa Al-Mansour : J’aimerais m’autoriser à faire ça, oui. Je ne porte pas mes choix comme un étendard, je ne porte pas de responsabilité, mais c’est important pour moi et pour ma fille d’être représentées à l’écran. Toutes les histoires sont racontées sous un prisme masculin. Les récits de guerre par exemple, que des destins de soldats, d’hommes soldats.

Qu’en est-il des femmes soldats ? Quelle est leur expérience de la guerre ? C’est vraiment effrayant. Il n’y a pas de vraie représentation de femmes dans beaucoup d’histoires. Je ressens donc le besoin de les raconter. De changer la manière dont les gens perçoivent les femmes. Heureusement, il y a de plus en plus de femmes qui font ce métier et qui participent à ce changement.

 

JJSphere : Quel est votre plus grand rêve, là, maintenant que votre film The Perfect Candidate sort dans les salles ?

 

Haifaa Al-Mansour : De retourner travailler ! (rires) Je suis à la maison depuis si longtemps ! J’ai vraiment envie que mon film touche le plus de monde possible. Mon plus grand rêve serait que les gens qui vont voir The Perfect Candidate rient et aient du plaisir, qu’ils ressentent des émotions et s’amusent.

Oui, je fais des films qui traitent de sujets importants mais je me considère néanmoins comme une artiste de divertissement. Avec The Perfect Candidate, j’ai envie d’interagir avec le monde et que les gens aiment mon film. Qu’ils aient du plaisir et qu’ils aient dîner ensuite, qu’ils parlent entre eux. C’est énorme pour moi.

The Perfect Candidate film affiche

The Perfect Candidate

 

Un film de Haifaa Al-Mansour avec Mila Alzahrani, Dae Al Hilali, Khalid Abdulrhim
Sortie en salle le 12 août 2020

Fiche sur AlloCiné

 

 

 

Photos : ©Razor Film / Neue Visionen Filmverleih

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