La première fois que j’ai vu Jacques Gamblin ? Ça devait être lorsqu’il envoyait littéralement valser ses fringues au nez d’un Richard Berry effaré et homo-sceptique. On connaît sa tête, mais on oublie parfois le nom des gens. Je le repère ensuite dans les films de Lelouch jusqu’au rôle touchant d’un père possessif coupable malgré lui dans Tout ça pour ça. Je ne vous avouerai pas combien de fois j’ai regardé Les Enfants du marais. Et je l’ai suivi. Tout le reste de ma vie. Ou est-ce lui qui l’a suivie ? Distillant ça et là des petits bonheurs fugaces mais pugnaces, des sensations, et puis des larmes aussi, quand il pousse un fauteuil roulant ou que son dernier souffle sort d’un coussin gonflable.
Au théâtre, la finesse de son texte, son humour tendre, sa souplesse ont définitivement scellé mon admiration. Le Toucher de la hanche, une dédicace, des Diablogues, un scintillement, toujours mordue. Virtuose de la scène, Jacques sait transporter son public dans un univers onirique avec les mots du réel, c’est un passeur d’émotions qui se joue de l’apesanteur. Il survole les planches, toujours mobile, aussi léger que ses phrases qu’il projette vers nos oreilles attentives et conquises.
Une diction reconnaissable entre toutes, des yeux clairs dans un visage mutin et un tout, une silhouette fine et souple qui plie mais ne rompt pas sous les coups des rôles et des ans. Il cherche la vérité, la crédibilité dans chaque geste qu’il copie avec méticulosité jusqu’à le faire sien. Un acteur.
Acteur des éléments, il mêle dans son dernier opus terre et mer, l’air qu’il fouette de ses jambes qui sautent et qui dansent, le feu de la passion, celle des gens vrais, des histoires poétiques, des personnages obstinés, un peu fous. Fous de passion. Comme le facteur qu’il incarne en ce moment au cinéma, comme le navigateur Thomas Coville, son ami. Au théâtre, Jacques parle à un homme qui ne tient pas en place, mise en scène de sa correspondance avec ce frère des mers auquel il a écrit alors qu’il entreprenait une course autour du monde. Juste comme ça, ses messages sont quotidiens, s’étoffent, reçoivent réponse et finalement se transforment, s’interprètent en une ode à l’amitié, une ode à l’humanité, une ode à la nature. Si vous n’avez jamais eu l’occasion de le voir seul en scène, tentez l’expérience, laissez votre curiosité vous inviter.
La curiosité, c’est peut-être la vertu de celui qui s’intéresse à l’autre. “On ne peut pas échapper à sa curiosité” dit Jacques Gamblin. Est-ce parce que ce Monsieur nous intrigue, que la nôtre est piquée au vif ? Ou est-ce l’admiration ? Nous avons eu envie de plonger nos lunettes noires dans ses yeux et l’avons rencontré un jour de relâche au bord de l’eau. Nous avons parlé un peu de vie, de mer, d’air, de joie. Notre curiosité est un peu assagie, jusqu’à la prochaine fois. Peut-être en Bretagne, face au large, une bière bio locale à la main. Qui sait ?
Sans s’imposer, il est incontournable. Il se retire et laisse dans son sillage une présence. L’impression d’avoir passé un moment suspendu, privilégié, qui s’imprime dans la mémoire, dans le petit tiroir des souvenirs heureux. Merci Monsieur Gamblin.