Ça se tourne systématiquement vers le soleil, ça résiste, ça survit et c’est heureux d’être là. En plus, si on les regarde bien, les mauvaises herbes, on se rend compte qu’elles développent de magnifiques fleurs. Le coquelicot est une mauvaise herbe figurez-vous ! Et n’est-elle pas pour autant la plus vive, la plus fine, la plus délicate et la plus relaxante (surtout sous sa forme dérivée) des fleurs ?
Ce qui les distingue surtout des autres, les bonnes herbes, c’est leur résilience. Quel que soit le milieu, elles résistent avec grâce et bonne humeur. Pourquoi faisons-nous aujourd’hui l’apologie des pelouses vivaces ? (Nous sommes très portées sur ce qui porte la feuille en ce moment) Parce que nous nous essayons à un parallèle horticulture-culture maladroit. Quoique. Si Kheiron, acteur-réalisateur-scénariste français, emploie ce terme de Mauvaises Herbes en titre de son nouveau film, ce n’est pas anodin. Si l’adjectif qui se greffe et galvaude ces fameuses herbes est on ne peu plus négatif, on peut également louer les talents de ces organismes. A priori indésirables, les mauvaises herbes peuvent être utiles et réserver de belles surprises. Reste à ceux qui les côtoient l’effort d’observer au-delà de la réputation.
C’est ainsi le cas du bouquet de personnages que Kheiron et son sourire enjôleur et communicatif met en scène. Il y a Waël, l’éducateur improvisé mais aussi l’ex enfant de la guerre. Il y a Monique son ange-gardien joué par une Catherine Deneuve à contre-emploi qui ose la mauvaise foi, la malice et la tenue mi-fleur mi-savane. Il y a le cadre – souple le cadre – qu’essaie d’instaurer Victor-André Dussollier, directeur d’un tout nouveau centre pour enfants exclus du système scolaire. Et puis il y a les herbes folles, les jeunes, un peu égarés, un peu énervés, chacun avec ses préoccupations d’adolescent, chacun avec ses maladresses, chacun avec ses contradictions et ses blessures, chacun et chacune qui forment un tout cohérent et efficace. Ce groupe hétéroclite doit passer un jour, peut-être une semaine, dans ce fameux centre pendant les vacances et se trouve confronté à Waël. Ce n’est pas tout à fait ce à quoi il s’attendait. Et la magie opère.
Certains diront que c’est plein de bons sentiments. Certains diront que c’est tiré par les cheveux. Certains diront que les ficelles sont un peu faciles. Certains diront que le coquelicot est une mauvaise herbe.
Or, nous avons adoré passer du rire aux larmes en quelques secondes. Nous avons adoré le cadre à hauteur d’enfant sur tout le début du film. Nous avons justement adoré la bouille irrésistible et volontaire de Waël enfant, joué par Aymen Wardane, brillant de justesse. Nous avons été conquises par le duo complice Kheiron-Deneuve. Nous avons succombé au charme, au capital sympathie de Waël, à la joie qui s’assoie littéralement sur le cynisme, au regard positif et attentif que chaque personnage pose sur les autres, au texte malin et rythmé signé de la plume touche-à-tout du réalisateur. Kheiron a “voulu parler d’un sujet de fond avec légèreté”, c’est réussi, nous dirions même, avec brio, tant il garde l’angle de vue qu’il a choisi, sans concession, sans misérabilisme, sans condescendance.
Cher Kheiron, bravo, donc. Merci de mettre les mauvaises herbes à l’honneur. Merci de ne pas laisser la morosité, le pessimisme, la gravité prendre le dessus, même lorsqu’il s’agit d’événements tragiques. Vous pouvez nous masser les pieds quand vous voulez, nous nous mettrons peut-être à lire La Croix.
P.S. Le service de distribution du film en Suisse nous a informé que vous étiez malade au moment de notre passage à Paris et nous n’avons pas pu nous offrir une petite causette pour la JJTV. Nous vous souhaitons un prompt rétablissement et soyez prêt, vous ne perdez rien pour attendre, nous reviendrons !
Mauvaises Herbes
de et avec Kheiron, avec Catherine Deneuve, André Dussollier
Sortie en Suisse le 28 novembre 2018