Un coup de coeur. Mais pas que. Un coup de frissons, un coup d’effroi, un coup d’amour, un coup d’adrénaline, un coup d’émotion, d’émotions. Respiration. Nous avons beau être différentes, bien qu’étant toutes deux des Jo, nous tombons souvent d’accord. Il est ténu, discret, de moyen à fort, l’accord. Et il arrive qu’il soit profond. Plus rarement. C’est le cas aujourd’hui. En quelques heures, nous avons toutes deux enchaîné les pages de La Vraie vie, merveilleusement, efficacement écrit par Adeline Dieudonné. Premier roman iconoclaste d’une belge qui manque le virage de la comédie et s’adonne au drame avec talent.
Depuis, elle a renoué avec la scène. C’est bien, tant mieux, mais nous espérons que surtout, jamais elle ne lâchera son stylo. Qu’elle continuera à nous abreuver d’histoires fortes, drôles, perturbantes. L’oxymore est total entre le récit et l’auteure. Lumineuse, Adeline Dieudonné resplendit et dénote avec le décor qu’elle plante dans son livre, une banlieue résidentielle qui sent la pourriture, à l’architecture ratée, à la laideur affirmée.
La Vraie vie raconte un amour indestructible entre un frère et une soeur, sans jalousie ni chamaillerie. Improbable, et pourtant. Peut-être parce que l’environnement n’est pas propice à leur fournir cette chaleur humaine nécessaire à la croissance, à l’enfance. La mère aurait pu être remplacée par un ficus, elle est “un pas grand chose” rempli de crainte. Le père ressemble plus à un “milicien rebelle shooté à l’adrénaline du génocide qu’à un père de famille”. Il est chasseur. Il est collectionneur de cadavres.
Quand La Valse des fleurs est la BO d’une vraie vie, normale, cauchemardesque, le temps qui passe peut faire dissoner des notes qui étaient synonymes de joie, de plaisir, de chantilly. La musique, le temps, les gens. Des gens qui affectent.
“Il y a des gens qui vont vous assombrir le ciel, qui vont vous voler la joie, qui vont s’asseoir sur vos épaules pour vous empêcher de voler.”
Un détraqueur qui aspire ce qu’il y a de beau, le sourire des enfants. Des événements qui vident l’existence de son essence. Et il reste le néant. Un trou, un vide qui pèse plus lourd sur une poitrine qu’un camion. La hyène rôde.
Adeline Dieudonné fait comme Monica, l’un de ses personnages. Elle raconte une histoire. Un bloc de pages reliées, presque carrées, avec des paragraphes un peu perdus au centre. Un amas de lettres qui rassemblent “tout ce qui nous fait peur, comme ça on est sûr que ça n’arrive pas dans la vraie vie”. Avec des dragons, des ogres, des animaux sauvages et sanguinaires, de l’innocence malmenée, des sourires égarés. Un conte à l’écriture saccadée, rapide, rythmée, brusque parfois, violente. Des observations qui ont la fraîcheur de l’enfance, ses images, ses odeurs. Des mots qui claquent, crus. Le sang, la chair, la viande de la mort et de la vie. Et pourtant on ne peut s’empêcher de sourire, face aux expressions sans compromis, qui sortent aussi vraies et aussi vite qu’elles sont pensées et ressenties.
Un livre qu’on dévore comme la rage sauvage, la peur, la fureur de vie qui submerge la narratrice. L’héroïne.
Sans voix, nous refermons La Vraie vie. Après cette lecture d’une traite, d’une soif, K.O., pas facile de retourner à la nôtre. Se détacher des maisons grises. Zoom arrière. Laisser derrière nous La Valse des fleurs. Respirer.
La Vraie vie
d’Adeline Dieudonné, Éditions L’Iconoclaste 2018