Quand Marc Lambron de l’Académie Française réinvente Le Petit Prince de Saint-Exupéry, le prince a des nattes et le renard des écailles. La Princesse et le Pangolin, un conte contemporain où le quinoa a remplacé la rose.
La Princesse et le Pangolin ? Connaît pas. C’est un conte de Perrault ? La Fontaine ? La cousine du Petit Prince, une Bécassine de la voie lactée ? Certainement. Un visage reproduit dans les médias, une stature hors du commun, une enfant qui se dresse plus haut que les adultes de son oeil froncé. La princesse s’appelle Greta et elle est activiste. Disparu le “s’il te plaît”, elle exige, elle impose. “Dessine-moi une chauve-souris !”. Elle a raison. Un point c’est tout.
Alors, les sourcils en circonflexes sur son front aux pensées manichéennes, la princesse pose les yeux sur les écailles d’un “artichaut retourné”. Au milieu du désert, la tyrannie rencontre la relativité. Et ce n’est pas sur l’astéroïde Albert (Einstein) que cela se passe. Non. Un pangolin, lent et placide, acceptant son sort, demande à Greta de l’apprivoiser et lui enseigne la clé du bonheur : on ne voit bien qu’avec le coeur.
Du Petit Prince à La Princesse (et au Pangolin)
Quel est l’enfant qui ne connaît pas le conte philosophique de Saint-Exupéry ? Mais surtout, quel enfant oserait le mentionner dans ses préférences ? Car, s’il est incontournable, nous vous mettons au défi de trouver un enfant qui avouerait que Le Petit Prince est son histoire préférée.
Comme de nombreuses choses, le fameux extraterrestre à l’écharpe rouge est le livre de chevet des parents pour leurs enfants. Sans en saisir forcément tous les tenants et les aboutissants, sans avoir réellement un plaisir fou à enchaîner les phrases poétiques et les images symboliques, les parents savent qu’ils seront candidats au blâme s’ils passent à côté. Quoi ? Tu n’as jamais lu Le Petit Prince à tes enfants ? Shame ! Opprobre ! Bannissement immédiat de la communauté des bobos cultivés ! Mais zut ! On peut passer à autre chose ?
Dans une trame narrative semblable, Marc Lambron se joue de la poésie du prince pour tricoter l’ironie de la princesse. Loin des bons sentiments, elle invective en suédois, juge l’humanité à l’aulne de son catastrophique bilan écologique et ne jure que par sa planète archi bio où pousse un quinoa garanti sans OGM au goût de noisette. Mais son quinoa est en danger, elle doit absolument le sauver et c’est ainsi qu’elle entreprend son périple vers la Terre en quête d’une solution écoresponsable.
Elle est la princesse qu’on mérite, sans doute. À en croire le désinvolte détachement face au déclin terrestre des figures de proue du genre humain (majoritairement masculines…) que rencontre Greta sur leur astéroïde respective. Délicieusement risible, implacablement imparfaits, Chaplin, Einstein, Guevara, Astaire, Lagerfeld ou Mandela, aucun n’a réellement de solution à apporter à la demoiselle.
Quand la tyrannie croise la sagesse et l’amour
La morale de l’histoire ? Comme dans tout conte, c’est par l’expérience et les rencontres que l’on apprend. Sans nul doute, la princesse ne sera plus jamais la même une fois le pangolin croisé.
Persuadée de détenir la vérité, elle se confronte à la remise en question, à l’aspect organique, irrationnel du coeur symbolique. Elle se frotte aux écailles d’un animal aussi étrange que convoité. Aussi fascinant qu’injustement malmené. How dare they ? Privée de chauve-souris et de voyage de retour pour cause de COVID, Greta se décide à parler avec le coeur.
Loin de la mièvrerie, le conte de Lambron se dévore et dépose derrière lui, avec malice, une multitude de questions, dans les pas de la caricaturale Greta. La morale donc ? N’est pas pangolin qui veut.
La Princesse et le Pangolin
Conte de Marc Lambron de l’Académie Française, Éditions des Équateurs 2020
Illustration : ©LePoint / Photo : ©ÉditionsLesÉquateurs