Lancée par OCS, la série française Cheyenne et Lola revoit les codes du genre et fait la part belle aux femmes. Les actrices Veerle Baetens et Charlotte Le Bon sont y sont magistrales. Coup de coeur.
Une histoire qu’on pourrait qualifier de polar social. Ou de drame policier. La côte d’une ville industrielle au bord de la Manche avec ses grues, ses containers, ses ferries, ses migrants. Laquelle ? On s’en fiche. Et puis des rôles. Des rôles de femmes, fortes, chacune à sa manière, chacune selon ses atouts et ses capacités. Avec sa série Cheyenne et Lola, Virginie Brac a imaginé un duo improbable et désaccordé, un couple “à la” Thelma et Louise d’un réalisme cinglant. De la folie douce. Une insouciance qui se heurte aux réalités de la vie qui ne fait pas de cadeau. La justesse d’une écriture, la maîtrise des images, la virtuosité du jeu. Un profond coup de coeur.
Atmosphère et décor glauque
Depuis que de maladroits politiques ont fait leur le qualificatif de “petites gens” pour les classes populaires, il n’est plus politiquement correct d’utiliser cette expression méprisante. C’est pourtant d’eux dont il s’agit dans cette série qui plante un décor sombre, sale, glauque, gris. Or, le cadre est d’une esthétique impressionnante. Les images, la lumière font oublier l’écran qui nous sépare des lieux ouvriers où la pauvreté règne. On sent la rouille, l’humidité, les moquettes d’un autre siècle, les hydrocarbures, les impasses qui puent la pisse et la misère, entre le Café des Amis et la Vie Propre. Mais ce qu’on ressent, avant tout, c’est l’infini respect pour chacun de ces destins.
Jamais on ne s’effondre dans le misérabilisme ou le blâme. Chacun des personnages va au bout de ses forces et de ses capacités. Même si le bourbier enlise les pieds de celles qui souhaitent partir, s’en sortir. Qui rêvent d’une vie meilleure. Et qui se trompent, parfois, souvent, de bataille, la course à l’argent concrétisant souvent l’illusion d’une voie royale vers la lumière.
Cheyenne, Lola et les autres
L’une est matérialiste et insouciante. L’autre est égratignée par la vie et souhaite s’en sortir. L’une coule, l’autre est une bouée de sauvetage. Mais on ne sait pas vraiment laquelle. Il y a Cheyenne (Veerle Baetens), une fille du bled qui sort de prison parce qu’elle n’a pas voulu dénoncer son mari, malfrat incarcéré en Angleterre, de l’autre côté de la Manche, au bord de laquelle elle vit dans un camping de caravanes.
Et il y a Lola (Charlotte Le Bon), grande gigue d’une spontanéité enfantine aux jambes interminables, à la voix haut perchée. Maîtresse dupée d’un gourou en coaching personnel, gourde naïve à la soif de succès facile vissé au corps, elle a grand plaisir à se vêtir de skai et de lycra.
Enfin, il y a toutes les autres. Des femmes de ménage qui enchaînent les heures dans les ferries et les hôtels, des ouvrières, des serveuses, des séductrices, des petites mains qui travaillent pour des hommes et se taisent. Ni feel good movie, ni série de copines, les femmes ici cohabitent, se soutiennent ou sont rivales, peuvent se détester tout en sachant qu’unies, elles ont une chance de survivre.
Pas un mot n’est utilisé à mauvais escient. Les expressions, les coups de gueule, la souffrance morale, la violence, la conscience d’avoir les pieds et poings liés par une situation inextricable et se battre pourtant, encore et toujours. Une vie de survie. Même celles qui pourraient être qualifiées de “méchantes” ont leurs raisons et réussissent à provoquer sentiments contradictoires et compassion. Personne n’est fondamentalement mauvais. Ni bon.
Un catalogue de femmes. Toutes différentes mais toutes fortes, puissantes. Soumises à la force des hommes, remisées à des fonctions de second plan, elles sont pourtant aux manettes, l’air de rien. Parce que plus rien ne fonctionnerait sans elles.
Savourer les nuances d’une série sans compromis
Dépeindre une réalité sans déraper dans la vulgarité ou la caricature. Inventer des personnages complexes, des partitions féminines composant un puzzle riche, qui n’en est pas pour autant un pamphlet féministe revendicateur. Subtile et nuancée, la série Cheyenne et Lola sait se rendre indispensable tout en provoquant des questionnements essentiels sur la société dans laquelle nous vivons. Sans hésitations ni mise en scène, le décor de l’histoire dessine les contours de la réalité. Des faits, bruts.
Le brio de l’écriture donne envie d’incarner chacune de ces femmes, dans leurs éclats comme dans leur part sombre, leurs faiblesses. Virginie Brac signe plus qu’une série, elle peint une fresque sociale qui émeut, révolte et, ne l’oublions pas, fait rire. Dans leurs contrastes, Cheyenne et Lola ont l’humour du désespoir et la tendresse des mariages forcés. Un duo d’héroïnes éblouissantes, qui s’enfoncent dans la tourbe avec panache.
CHEYENNE ET LOLA
Série créée par Virginie Brac diffusée par OCS, Saison 1 en 8 épisodes
Avec Veerle Baetens, Charlotte Le Bon, Sophie-Marie Larrouy, Patrick d’Assumçao, Alban Lenoir…
Photos : ©OCS