Mesdames. Nos chères amies, collègues, camarades, rivales, consoeurs. Nos soeurs, nos mères, nos grands-mères. Nos adorées, nos amoureuses. Vous que nous admirons, vous que nous respectons, que nous regardons, observons. Nos filles. Et Messieurs. Le temps du silence n’est plus. À l’heure où nos voix s’expriment, se hissent à la force de leurs cordes, nous voulions vous écrire un petit mot. Un courrier des auteures. Fortes de vos exemples et de ce vent qui souffle, bourrasques qui ont pour vocation d’assainir et d’envoyer valser l’ancien monde. Joyeux 8 mars à toutes et tous.
8 mars 2020 : Nous sentons que le climat change.
Les tempêtes sont plus nombreuses. Il n’y a plus de saison il paraît. L’hiver est plus doux, la neige a disparu des sapins de Noël, mais le vent se lève. La colère. Celle des jeunes filles, des jeunes hommes qui ne veulent pas de l’héritage qui leur est destiné. Qui essuient aussi les crachats venimeux et vulgaires de hoquetants piliers de ce système voué à la tombe. L’intégrité d’une Greta Thunberg ne saurait être salie par ces visqueuses marées noires. Ou blondes. Un ridicule et terrifiant postiche blondasse sur le plus puissant et le plus grossier des misogynes. Et tout ça pourquoi ? Parce qu’elle dérange ?
Patriarcat, meurt ! Le temps est venu de célébrer l’humain, de l’appeler de nos cris.
Fini le silence ! Nous voulons nos droits et avec eux les responsabilités et les devoirs qui nous incombent. Ceux de protéger notre mère à tous, par exemple. Encore une femme bafouée par le système patriarcal. Ne dit-on pas Mère Nature ? Encore un utérus dont la propriété est revendiquée sans respect.
Malheureusement, la parole à toutes et à tous ne prémunit pas contre la bêtise qui elle, n’a pas de sexe. Et nous ne pourrions être plus écoeurées que quand nous entendons des femmes soutenir des discours éculés, des mots d’enfoirés. Quelle déception de voir Fanny Ardant ou Lambert Wilson, pourfendeurs de l’intégrité de Polanski alors qu’ils auraient mieux fait, cette fois, de fermer leurs bouches !
Quand on pense que vous auriez pu, vous auriez du. Représentants d’une caste, homme et femme, blancs caucasiens occidentaux éduqués, artistes correctement rémunérés, hautement entendus et diffusés. Votre responsabilité de privilégiés est engagée pour toutes les sans-voix, sous votre nez et partout dans le monde. Vous leur avez envoyé le message, un camouflet cuisant, qu’il reste encore un énorme chemin à parcourir. Ne reste que déception et tristesse à votre écoute. Et détermination.
Si la parole doit être libérée, tout avis n’est pas bon à prendre ni à donner…
Alors, vous, nos filles. Puissiez-vous ne jamais hésiter à donner votre avis. Puissiez-vous ne jamais avoir peur de dire non. Puissiez-vous ne jamais faire comme vos mères, qui, pour ne pas faire de vague, ne pas faire scandale, ne pas être traitées de putes, n’ont pas rembarré le connard qui colle, qui siffle, qui menace. N’ont pas dénoncé le criminel qui viole, qui frappe, qui tue. Ne laissant qu’un lambeau, une ombre qui n’a d’autre choix que de tenter de survivre. Et de se convaincre de son innocence, que ce sont elles, les victimes.
Parce que vous aurez la certitude que l’opprobre sera automatiquement et immédiatement dirigée sur votre agresseur. Votre importun. Votre grossier personnage. Votre dragueur insatisfait. Votre imbécile à l’orgueil égratigné. Votre conjoint violent. Votre compagnon de bus trop proche. Votre passant trop insistant. Votre patron agressif. C’est lui qui sera jugé, condamné, regardé de travers.
Comme Martin Luther King, en ce 8 mars, nous avons un rêve.
Nous rêvons que le silence ne fasse jamais partie de votre vie. Que vous soyez sereines. Assurées que votre intégrité, que le respect de votre corps pèse plus lourd dans la balance que tout l’argent du monde. Que la personne qui ose manquer à cette règle élémentaire sera traitée avec sévérité. Qu’un dérobeur de vie payera plus cher qu’un détourneur de fonds. Comment expliquer à une victime aujourd’hui que son violeur marche, libre, alors que le scandale explose quand un col blanc vole de l’argent ? Oui, c’est grave de piquer des pépettes, mais n’est-ce pas criminel de lever des jupettes ? Voler une vie, ce n’est apparemment pas un motif suffisant pour être puni… à vie ?
Ça suffit !
Il n’y a pas de fumée sans feu. Weinstein accusé de viol par 93 femmes (et combien qui restent silencieuses encore ?). Polanski accusé de violence et viol, notamment sur mineure, à plusieurs reprises. La justice, l’entourage, tout le monde sait et se tait. L’amnésie et le mutisme sont les maux de notre société malade dont les femmes sont les doubles victimes. Prescription, il n’y a rien à voir !
Comment ose-t-on ? Le talent, le pouvoir ou l’argent sont ici des circonstances atténuantes. Est-ce qu’ils ont atténué leurs coups, eux ? Est-ce qu’ils ont violé avec talent ?
Les mots nous manquent pour raconter (parce que justifier, ce n’est plus possible) une société qui se tait. Qui glorifie des prédateurs et qui doute des proies. Qui les traîne dans la boue et les force à se taire par la force de la honte, du déni, de la bienséance ! Mais méfiez-vous, nos voix sont plus fortes que vos petits yeux fermés.
Parlons. Femmes, hommes. Parlons.
Et, comme le dit très justement Giulia Foïs dans son intervention à C à Vous le 2 mars 2020 : débouchons nos oreilles aussi, pour entendre ce qui est dit, ce qui est dénoncé. Oui, ce n’est pas agréable. Elle n’est pas belle la vérité. Elle n’est pas propre la réalité. Ce n’est pas une jolie histoire. Pour autant, nous ne détournerons plus les yeux et ne nous boucherons plus les oreilles.
À l’instar de Yann-Arthus Bertrand et d’Anastasia Mikova qui sont allés à la rencontre des femmes, de toutes les femmes à travers le monde, et qui nous délivrent leurs témoignages dans Woman au cinéma (interview à suivre).
Soyons prêts à faire humanité tous ensemble, tous, dans notre diversité et notre individualité. Soyons prêts à écouter et à croire. À refuser ce qui est injuste et ce qui est barbare. Ne laissons plus jamais nos soeurs se faire mutiler, lyncher, lapider, tuer, pour la simple et unique raison qu’elles sont femmes. Pères et mères, éduquons nos fils, nos filles. N’acceptons plus que les discriminations prévalent et s’additionnent les unes aux autres. C’est quoi ce monde ?
Qu’est-ce qu’on attend ?
Mesdames, Messieurs. Nous sommes plus nombreux qu’eux, nous sommes l’humanité toute entière. Si nous nous mettons à crier, le bruit sera assourdissant. Le féminisme c’est plus qu’un mouvement. #metoo c’est plus qu’un slogan. Qu’est-ce qu’on attend pour suivre le mouvement lancé par de glorieuses têtes de proue ? Des modèles à suivre, des femmes inspirantes, des hommes engagés, des discours à partager, il y en a des centaines. N’ayons plus peur. Approprions-nous leur verve. Faites vôtre leur verbe. Parlons haut, parlons fort.
Aujourd’hui, 8 mars 2020, qu’est-ce qu’on attend ?